Vu le 29 novembre 2013
Quand il était jeune, le comédien
Guillaume Gallienne croyait qu’il était une fille. Parce que sa mère les
appelait, lui et ses frères, de cette manière cavalière au moment du repas
familial : « Les garçons et Guillaume, à table ! »* Du coup, en grandissant, sa
personnalité s’est forgée autour de cette certitude, au grand désespoir de sa
famille, notamment son grand bourgeois de père.
En adaptant son spectacle au cinéma, Guillaume Gallienne prenait
plusieurs risques. D’abord le risque classique, inhérent au portage sur grand
écran, de tomber dans le théâtre filmé sans intérêt. Force est de reconnaître
qu’il se tire admirablement de cette contrainte délicate, et même avec un
certain panache, mêlant les éléments scéniques (il passe une partie du film sur
les planches en s’adressant à un mystérieux public, commente chaque scène sur
un ton de narrateur de théâtre…) et la mise en scène cinématographique dans des
décors judicieux. La maison bourgeoise dans laquelle grandit la famille
Gallienne, notamment, avec ses moulures, ses dorures et ses fissures, est en
elle-même suffisamment évocatrice de l’ambiance familiale. La mise en scène est
une vraie mise en scène de cinéma, ce qui est somme toute assez rare dans ce
genre de cas**.
D’autre part, le sujet est lui-même relativement délicat :
une autobiographie sur un garçon qui se prend pour une fille, sans apitoiement,
misérabilisme aucun, sous la forme d’une comédie dynamique et bien rythmée. Pas
évident, mais là aussi le pari est réussi : on rit, beaucoup, et jamais à
mauvais escient. Gallienne nous emmène dans sa vie sur laquelle il porte un
regard plein de tendresse sans occulter ses (nombreuses) erreurs. Apparemment on en trouve certains pour y voir une critique du milieu gay et une apologie de l’hétérosexualité,
mais comme les mêmes ont aimé La Vie d’Adèle
ce n’est pas trop grave.
Et enfin le réalisateur prend un parti audacieux puisqu'il joue
également sa mère, bourgeoise ampoulée et un poil vulgaire que le jeune homme
couve d’une admiration quasi œdipienne. Une grande partie du film repose sur
cette relation mère/fils à la frontière du malaise, et sur l’amour absolu que
voue Guillaume à sa génitrice. Là encore, il faudrait sincèrement manquer de
cœur pour trouver à redire à la performance : l’acteur n’a pas usurpé son
statut de sociétaire de la Comédie française.
Comme la musique est étonnamment bien choisie***, la mise en scène
originale et le sujet rafraîchissant, on peut dire qu’on a affaire à un très
bon film. En plus c’est drôle.
Les garçons et Guillaume, à table !, Guillaume
Gallienne, 2013
* En fait, comme il l’explique lui-même régulièrement en
interview, c’était surtout le fait que ses deux frères dormaient dans la même
chambre qui justifiait cette étrange formulation.
** Il suffit de revoir Le
père Noël est une ordure, Le Dîner de
cons ou Le Prénom pour s’en
convaincre. C’est drôle (enfin… moins que les pièces à chaque fois), mais en termes cinématographiques ça ne vole pas bien haut. Ici on est dans une toute autre réflexion.
*** Bon, c’est peut-être parce qu’on était deux choristes, mais on
a adoré la bande originale du film. Notamment une très belle version
polyphonique de We Are the Champions.
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