Vu le 7
janvier 2014
Walter Mitty est un rêveur. Il travaille pour
un grand magazine comme responsable des négatifs*, un poste à l’agonie voué à
disparaître avec le rachat de l’entreprise, et fantasme sur une collègue
récemment arrivée. Comme sa vie n’a rien d’extraordinaire, il s’invente un
monde où il sauve des vies et fait des expériences incroyables. Seulement
voilà, Mitty doit retrouver un négatif égaré et, pour cela, courir de par le
monde après le célèbre photographe Sean O’Connell.
Entre Tonnerres sous les tropiques, Disjoncté et Zoolander, Ben Stiller a amplement montré qu’il peut être un
réalisateur inspiré et férocement drôle, tout en moquant les poncifs
hollywoodiens. Pourtant, en tentant de faire un remake d’un film de 1947 nettement
plus en demi-teinte, La Vie rêvée de Walter Mitty**, il
tombe malheureusement dans le gentillet convenu. Le film perd rapidement le peu
de souffle qu’il arrive à insuffler, la faute à trop de caricatures : Adam
Scott en méchant « responsable de la transition », c’est-à-dire
organisateur de plan social, Kristen Wiig en collègue idéale, Sean Penn*** en
photographe solitaire et philosophe… Fasciné par les paysages qu’il traverse
(belles images de l’Islande), Stiller en oublie de mettre du liant dans son
film. Les rêves éveillés de Mitty sont au final peu exploités, voire carrément oubliés
dans la seconde moitié du film, les retournements sont convenus (celui de la
fin a particulièrement heurté mon intelligence de spectateur) et la morale beaucoup
trop gnangnan.
L’ambition
du film, enfin, est largement disproportionnée par rapport au propos,
simpliste : « la vraie vie est
dehors, là-bas, alors prends ton bâton de pèlerin et va te balader ».
Au temps pour Voltaire, ou de façon plus pertinente pour Capra, qui expliquait
dans son plus beau film que le bonheur pouvait aussi se trouver chez soi.
Bon, je
m’emporte, La Vie rêvée de Walter Mitty est loin d’être une horreur
irregardable. Ça joue bien (parfois très bien même, mention spéciale à Sean
Penn, bien sûr, et à Olafur Darri Olafson, drôle et touchant – mais surtout
drôle), certaines scènes sont vraiment drôles (notamment tout le passage au
Groenland), et on sent toute la sincérité de Ben Stiller pour son sujet.
Pourtant on le sent aussi bien éloigné des réalités, avec ce monde bêtement
binaire où les gentils sont très gentils, les méchants très méchants et
l’aventure réelle largement au niveau des rêves absurdes. Au point que [SPOILER]
j’étais convaincu qu’une ultime volte-face scénaristique allait nous révéler qu’en
fait « tout ça n’était qu’un rêve ».
Mais non, tout ça n’est pas un rêve, et Ben Stiller n’est pas Wes Anderson, ni
Michel Gondry. [/SPOILER] Par manque de patte, par manque de souffle, le film
ne parvient pas à s’imposer comme une œuvre réellement originale. Juste un bon
moment vite vu, vite oublié.
The Secret
Life of Walter Mitty, Ben Stiller, 2013
* J’ignorais que ce poste existât encore. Le film tente d’entretenir
une fascination pour la belle ouvrage de l’ancien temps, quand les photographes
avaient une âme et travaillaient à l’argentique. Stiller lui-même a réalisé son
film tout en pellicule. Mouais. Et tes effets spéciaux, Ben, ils sont pas
numériques peut-être ?
** Comment « secrète » est devenu « rêvée », ça…
nous entrons dans ce mystère de la traduction que j’évoque souvent. J’ai
toutefois été surpris en découvrant le titre original, je m’attendais à une trahison
du genre Stranger than Fiction
(traduit de manière incroyablement audacieuse L’Incroyable Destin de Harold Crick). À noter que le film est tiré d’une nouvelle de
James Thurber, qui avait d’ailleurs déjà été adaptée en 1947. Mitty y était
correcteur, un poste nettement plus intéressant que développeur.
*** Bon, après c’est Sean Penn. Il est cinq minutes à l’écran, il
débite des conneries plus grosses que l’Himalaya qui l’entoure (« Parfois, je ne prends pas la photo, je
laisse juste l’instant s’écouler » et autres délires new-age) mais
c’est pas grave, c’est Sean Penn, il a la mégaclasse, il pourrait nous lire le
bottin qu’on croirait que c’est du Sophocle.
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