Vu le 5 septembre 2007
Université d’Hollywood, amphi Max Pécas.
« Bonjour
les jeunes. Je suis D. J. Caruso, vous avez probablement vu mon dernier film, Two
for the Money, avec Al Pacino et Matthew McConaughey… Non ? Bon, c’est
pas grave, de toutes façons je suis pas là pour vous parler de ça. Aujourd’hui,
nous allons évoquer la délicate matière des thrillers pour adolescents…
Oui ? Le jeune homme au deuxième rang ?
― Vous voulez
parler de trucs genre Scream ? Parce que monsieur Craven nous a
déjà…
― Non, je
parle de thrillers, pas de vulgaires slasher movies avec tueur
psychopathe à grand couteau. Je parle de films où le spectateur est tendu comme
un string pendant toute la durée du long-métrage, je parle d’une intrigue dans
laquelle le héros, bloqué par un terrible trauma, est contraint d’affronter ses
peurs les plus intimes dans un terrifiant duel contre la fatalité et contre
lui-même… Voyez mon nouveau film, Disturbia*, c’est un exemple frappant.
Oui, vous là, vous l’avez vu ?
― C’est bien
l’histoire de ce jeune homme assigné à résidence pour avoir tabassé son prof et
qui découvre que son voisin est un tueur en série ?
― Exactement.
Les plus érudits d’entre vous auront peut-être discerné dans ce scénario une
subtile référence à Fenêtre sur cour, un classique avec Christopher
Reeve. Il paraît même qu’il s’agissait d’un remake d’un vieux film en noir et
blanc, mais bon, je suis pas archéologue non plus…
― Le héros de
votre film, c’était le mec de Transformers non ?
― En effet,
j’ai été un des premiers à faire tourner le petit Shia LaBeouf**. Sacré
gamin ! D’ailleurs il jouera bientôt dans Indiana Jones 4, c’est
dire si j’ai eu le nez creux de l’engager avant, je vous raconte pas la tronche
de mon comptable.
― J’ai
particulièrement apprécié la manière dont vous montrez subtilement dès le début
les armes qui serviront à la fin.
― Oui,
intéressant n’est-ce pas ? Quand mon héros plante un grand sécateur dans
le jardin ou quand il tartine du beurre de cacahuète avec un énorme couteau à
viande… Je suis sûr que vous ne vous êtes pas douté une seule seconde qu’ils
allaient revenir dans la scène finale avec le tueur fou, hein ? En jargon
technique on appelle ça un implant, ça sert souvent pour mystifier le
spectateur, notez bien***. Oui ? Vous, là, avec les boutons…
― Ouais, la
meuf, elle est bonne…
― Euh…
Effectivement, Sarah Roemer n’est pas mal, mais elle a été castée pour ses
qualités d’actrice avant tout. Il fallait ce côté “pauvre petite fille riche”…
―
Ouais mais
on la voit pas à oualpé !
―
Bien sûr
qu’on ne la voit pas à poil, petit sot ! C’est une règle de base dans le
film pour adolescents : on émoustille, on titille, on suggère le flirt
mais on ne montre jamais le moindre bout de téton ! Hé, on est en Amérique
ici mon gars ! Tu veux de la dépravation ? Va en France ! Ici,
on fait dans le visible par tous !
― Mais
monsieur Verhoeven il disait…
― M’en fous de
vos autres profs, dans ma classe on fait comme je dis ! Bon,
poursuivons : la scène finale.
― Et les
intermédiaires ?
― Ben on en a
déjà parlé ! Vous faites monter la pression, entre le voisin qu’on sait
pas si c’est un tueur et la fille qu’on sait pas s’il va se la taper, puis on
attaque la scène finale.
― Ah…
― Alors, pour
la scène finale, une seule règle : n’hésitez pas à faire dans la surenchère. Allez-y
à bloc, de toutes façons le stress sera tel chez les spectateurs que n’importe
quelle connerie passera à l’aise. Genre, ça se passe dans la maison du
tueur : mettez des passages secrets dans tous les coins.
― Ah, c’est
ça… Non parce que je me disais, quand on voit la surface intérieure par rapport
à l’extérieur, elle passe pas la
loi Carrez cette baraque !
― Et puis
n’oubliez pas : le tueur est indestructible, sauf lors de la dernière
attaque. Balancez-le du premier étage, il reviendra toujours. Ensuite, il y a
quelques règles de base à suivre pour surprendre toujours plus votre public, je
vous les ai listées dans le poly que vous pourrez récupérer en sortant du
cours. Vous remarquerez qu’elles sont toutes présentes dans mon film… Un
exemple au hasard… là, “les héros peuvent
s’asseoir dos contre la porte pour la retenir en prévision de l’arrivée du
tueur. À ce moment, le tueur devra toujours traverser le battant avec un objet
tranchant et/ou contondant, sans toutefois toucher aucun des héros.” Ou
encore ici : “si les héros parviennent
à faire tomber le tueur dans l’escalier, surtout ne pas les faire descendre
pour l’achever. Se barricader dans la chambre est une option bien plus porteuse
scénaristiquement parlant.” Et bien sûr, le grand classique : “quand le méchant a attaché le héros, ne pas
oublier qu’il doit raconter son plan, même s’il est complètement absurde et que
ça ne sert à rien.” Ça c’est un classique, pas moyen d’y couper.
― Monsieur,
monsieur…
― Oui mon
petit ?
― Je me
disais : c’est normal qu’il n’y ait pas un mort dans le film ? Je
veux dire, ça aurait pu être un peu plus gore, non ?
― Comment ça
pas de mort ? Et la fille de la boîte de nuit, elle meurt pas
peut-être ?
― Ben on la
voit quasiment jamais…
― Et le flic,
il meurt pas ? Vous aurez d’ailleurs admiré cette manière de le tuer par
derrière en lui faisant craquer les cervicales. L’idée m’est venue comme ça,
d’un coup. Je ne pense pas que ça ait déjà été fait dans un autre film avant…
― Ouais mais
en fait c’est les seuls morts. Il est tout pourri votre tueur.
― Eh, oh, tu connais mon budget ? Tu
attendais qui ? Anthony Hopkins ? Kevin Spacey ? Sergi
López ? On fait avec ce qu’on a mon petit gars ! Ah, la sonnerie. Le cours
est terminé, j’espère qu’il vous aura été profitable. Pour la semaine
prochaine, le travail sera de me bricoler une idée de base pour un bon petit
thriller. Du réaliste, hein, pas de zombis ou de virus cannibale ! Un bon serial
killer qui collectionne les organes, y a que ça de vrai, OK ?
Merci. »
Disturbia, D. J. Caruso, 2007
* Élégamment traduit Paranoïak en France. Je ne cherche plus à comprendre.
** Ne me demandez pas comment ça
se prononce !
*** Certains experts pédants
parlent aussi de « perception subliminale ». Des cinéastes l’ont
élevée au rang d’art (cf. Robert Zemeckis dans Retour vers le futur),
voire de métaphore du divin (cf. M. Night Shyamalan dans Signes).
D’autres le considèrent simplement comme une manière bon marché de relever un
scénario (cf. Steven Spielberg dans Jurassic Park 2).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire