Vu le 1er octobre 2006
Un beau dimanche après-midi, dans le bureau de David R.
Ellis, banlieue sordide d’Hollywood
― David,
David, ça y est, j’ai une idée de film !
― John,
je déconnais quand je disais que je voulais refaire un film. Cellular et
Destination finale 2, ça m’a suffi, je raccroche je te dis.
― Maieuh
tu peux pas me faire ça ! On avait dit que si j’arrivais à trouver une
bonne idée de scénario, tu me le réalisais mon film !
― Grmblb…
bon, c’est quoi ton idée ?
― Tu
vas voir, c’est génial. Tu sais qu’on a déjà fait des films avec des avions qui
s’écrasent ?
― Ouais,
enfin, c’est surtout des films d’avions qui s’écrasent pas. Genre Turbulences
à 30 000 pieds ou Les Ailes de l’enfer ?
― Par
exemple. Et on a aussi déjà fait des films avec des serpents.
― Genre
Morsure, de Carpenter ?
― Heu…
je pensais plus à King Cobra ou Python, mais pourquoi pas ?
― OK,
ça a déjà été fait. Et… ?
― Mais
personne n’a jamais fait : des serpents dans un avion qui s’écrase !
― …
― Ah,
ah !
― C’est
ton idée ça ?
― Ouais !
C’est génial hein ?
― T’en
as scénarisé combien des films, déjà ?
― Ben… avec celui-là, ça
fera un. Mais y a Sebastian qui va m’aider !
― Sebastian
Gutierrez, le scénariste du Gothika de Kassovitz ?
― Himself !
― Ah
ouais. Bon, je suppose qu’une promesse, c’est une promesse…
Quelques jours plus tard, dans une cave sous-louée à la
tante du réalisateur
― Bon,
bienvenue à tous pour la première réunion de préparation de… John, c’est quoi
le titre déjà ?
― Des serpents dans
l’avion.
― Non,
ça c’est le sujet John ! Le titre, c’est quoi ?
― Ben… j’ai pensé qu’on
pourrait garder ça comme titre. C’est original, tu trouves pas ?
― T’es
pas la moitié d’un fainéant, toi ! Bon, va pour Des serpents dans l’avion. Le casting, ça en est où ?
― Alors,
j’ai d’excellentes nouvelles : on a Samuel L. Jackson !
― …
― Hé,
hé…
― Samuel
L. Jackson ? LE Samuel L. Jackson, celui de Pulp Fiction, de Die
Hard 3, de Jacky Brown, de Star Wars ? Ce Samuel L.
Jackson là, pas un obscur homonyme ?
― Non,
non, Samuel L. Jackson ! Il adore le concept, il veut à tout prix jouer
dedans !
― Il
est prêt à investir dans la production ?
― Euh…
non, quand même pas. Mais il veut bien des vacances à Hawaii.
― OK.
Bien, c’est bon ça coco ! Ça ne part pas si mal, ce navet ! Pour lui
donner la réplique, je vois bien un comique balèze, genre Owen Wilson…
― Euh… ben, on a
Nathan Phillips.
― Qui ?
― Nathan
Phillips. Mais si, il jouait dans Wolf Creek…
― D’accord,
au temps pour moi, je me suis enflammé. Donc en vrai acteur, on n’aura que
Jackson. Niveau nichons, on a quoi ? Indispensable, ça : dans les
films d’avion y a des hôtesses de l’air et dans les films de serpents des
bonnasses pour faire les casse-croûtes. Là il nous faut de la cuisse fraîche,
genre Elisha Cuthbert.
― On a Julianna
Margulies, Rachel Blanchard, Sunny Mabrey…
― Hein ? C’est qui
ça ?
― Rachel
Blanchard, elle jouait pas dans Sept à la maison ?
― Et
Margulies, c’était l’infirmière Hathaway dans Urgences, non ?
― Mais
qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Où il est le scénariste ?
― Ben c’est moi, David…
― Non,
John, le vrai scénariste, celui qui écrit l’histoire. Sebastian, les filles là,
on voit leurs nibards au moins ? Non parce que je veux bien racler les
fonds de sitcom, mais il me faut un retour sur investissement !
― Ben si tu veux, je
peux te rajouter des plans nichons avec les serpents qui mordent les seins de
l’actrice. Je suis sûr que ça plaira…
― Mmh…
dis donc, au fait, je feuillette le scénar, là, et je pense à un truc… C’est
quoi déjà l’excuse pour qu’il y ait des serpents dans un Boeing 747 ?
― C’est
très simple : Nathan Phillips a été témoin d’un meurtre perpétré par un
gros maffieux, il doit aller témoigner à Los Angeles et, pour l’éliminer, le
maffieux a rempli l’avion de serpents venimeux.
― …
C’est complètement con comme plan ! Comment il peut être sûr que le mec va
se faire mordre ?
― Ah,
mais c’est qu’il en a mis vraiment beaucoup beaucoup, tu vois ! Et puis de
toutes les espèces : cobras, crotales, serpents corail, mambas noirs,
vipères cornues, pythons molures…
― C’est
venimeux le python molure ?
― Euh…
bon, qu’est-ce qu’il y connaît, le public, en serpents, hein ? De toute
façon, on fait tout en images de synthèse, on a tous les serpents qu’on veut,
autant en profiter.
― Oui,
mais quand même, ta scène finale, là…
― Quoi
la scène finale ? Très bien, la scène finale, très réaliste.
― Je
sais pas, faudra se renseigner auprès d’un mec de la sécurité aérienne, mais je
suis pas sûr que ce soit complètement possible ça.
― Beuh,
faut toujours une ou deux hyperboles dans un film à grand spectacle.
― On
est d’accord qu’on tourne pas une comédie ?
― Euh…
Premiers jours de tournage, un studio à Papeete
― Dis-moi
John, je croyais qu’on était d’accord pour limiter les gags !
― Mais
tu rigoles ? T’as vu le succès du film sur Internet ? Les gens
s’attendent à un gros délire !
― Quel
succès ? Le film est même pas encore tourné.
― Oui,
mais le site web a un succès fou ! Les fans adorent le concept. Ils
croient qu’on est en train de tourner un nanar volontaire, style Le Retour
des tomates tueuses.
― Mais
je veux pas tourner un nanar !
― Ah,
va falloir, sinon tu vas cruellement décevoir les fans.
―
Dans
quoi je me suis embarqué, encore ? Et puis c’est quoi, ces clichés ?
Le steward gay, le rappeur dragueur débile, l’hôtesse de l’air nympho, la
bourge conne au chihuahua surexcité… ça fait un peu « défilé de victimes
désignées » non ?
― Pas
du tout. Toi, t’as pas lu le scénar !
― Tu
crois que j’aurais réalisé Cellular si je lisais les scénars ?
― Je
croyais que c’était pour tourner avec Kim Basinger…
― Ta
gueule ! Ton script il est naze !
― Pas
du tout, c’est un jeu sur les clichés : en fait, le steward n’est pas gay,
le rappeur n’est pas si con, l’hôtesse de l’air est sympa…
― Et
le chihuahua tu vas pas le faire bouffer par le python molure par hasard ?
― Euh…
peut-être.
― Ouais.
Et le couple qui pense qu’à s’envoyer en l’air dans les toilettes en fumant un
joint, ça va pas être les premières victimes ?
― Ah,
ça c’est normal, c’est la règle : sexe + drogue = mort prématurée, c’est
dans tous les manuels de films d’horreur.
Tournage en studio
― Dis
donc Sebastian, j’ai un petit problème avec cette scène là… un truc a
disjoncté, donc il faut descendre dans la soute pour le réenclencher
manuellement. Et comme la soute est pleine de serpents, c’est Samuel L. Jackson
qui s’y colle, dans le noir avec juste une torche…
― Oui.
Et… ?
― Ça
te rappelle pas un film ? Genre un truc avec des dinosaures qui
s’échappent sur une île, tout ça ?
― Euh…
ah, oui, effectivement ça ressemble.
― Quel
piqueur d’idées, ce Spielberg, pas vrai ?
― Non
mais t’as pas compris l’astuce ! Dans Jurassic Park, quand Laura
Dern descend dans la cave, qui c’est qu’elle retrouve mort bouffé par les
raptors ?
― Ben… le noir il me
semble…
― Joué
par ? Samuel L. Jackson ! Tu vois, à travers cette scène, je permets
à Samuel de montrer que son personnage a évolué, qu’à présent c’est lui qui
terrorise les monstres, qu’il est devenu digne de finir autrement que sous la
forme d’un bras à moitié bouffé… c’est une sublime métaphore sur sa carrière
d’act…
― Ça
va, ça va, laisse tomber ! De toute façon, c’est pas la seule scène piquée
à Spielberg. Au fait, ça fait vraiment cet effet, les piqûres de serpent ?
Les boursouflures, les abcès purulents, les yeux qui fondent… ?
― Euh…
oui, attends, je demande… Todd ?
― Oui ?
― David
demande si les serpents, ça fait vraiment ce genre de dégâts ?
― Mais
qu’est-ce que j’y connais moi ? Je joue le spécialiste dans le film, j’y
connais rien en vrai, je suis acteur putain !
― Ouais,
ben justement, comme ça se voit pas trop à l’écran, je me disais que peut-être
ils s’étaient gouré au casting et qu’ils avaient engagé un vrai herpétologue.
― Hé,
je te permets pas, j’ai joué dans Jerry Maguire, dans High Fidelity,
dans Chicago Hope…
― Ah
ben comme ça tu peux discuter avec l’autre de Urgences. Vas-y, dégage.
― Bon,
ça te va pas les dégâts des serpents ?
― Ben c’est pas ça, mais
c’est pas un peu craspouille ? Moi, je croyais que tu mourais, et puis
c’était tout. Mais là les gens gonflent, ils font des œdèmes et tout…
― Ah
ben c’est un film d’horreur aussi, hein ?
― Mouais.
Et pour cette scène finale, tu as trouvé une idée ?
― Mais
je vois pas pourquoi tu veux la changer cette scène.
― Parce
que jusque-là, on est dans une relative logique vis-à-vis de la réalité
(logique floue, hein, mais bon). Et là, j’ai un copain steward, il m’a
clairement dit que c’était pas possible ton idée…
― Bah,
qu’est-ce qu’il en sait, il a essayé ?
― Il
dit que tout le monde finirait au mieux décapité et propulsé à
60 000 pieds d’altitude.
― Boaf !
On tourne un film délire, c’est tout.
Veille de l’exploitation
― Non,
franchement, les fans sont surexcités. Ça va être la folie furieuse, on va
faire une première semaine de dingue !
― Tant
mieux, parce que je ne te cache pas que c’est sans doute là qu’on va faire tout
notre chiffre. J’ai peur que la deuxième soit désastreuse.
― N’importe
quoi ! Au fait, pourquoi t’as pas voulu montrer le film à la presse en
avant-première ?
― C’est
une blague ? Tu crois vraiment qu’on a besoin de se faire descendre en
prime ?
― Mais
qu’est-ce que tu reproches à ce film ?
― Je
lui reproche d’être mal balancé ! Soit on fait un truc d’action un peu
effrayant, soit on tape le délire, mais il faut choisir. Là, c’est ni fait ni à
faire. C’est même pas vraiment drôle…
― Ah,
si, la réplique de Samuel à la fin, elle est géniale. Les machinistes ont
rigolé pendant vingt minutes quand il l’a sortie…
― Oui,
il m’a rappelé Tom Hanks dans Da Vinci Code : on se demande si
c’est le personnage ou l’acteur qui parle en exprimant son ras-le-bol !
― Pas
de basses insultes, s’il te plaît.
― Bon,
on verra bien…
Début de deuxième semaine
― Bah
alors, c’est pas si mal ! Plus de 15 millions de dollars la première
semaine !
― Oui,
ben c’est fini. Maintenant que les « fans » l’ont vu, ils en parlent
sur les forums Internet où ils en disaient du bien avant de le voir… et c’est
moins enthousiaste.
― Ouais,
mais on l’a remboursé le film ?
― Ah
ben oui. D’ailleurs, on a bien fait de monter la sauce sur le net parce qu’on
était dans le rouge. Tournage à Hawaii, Samuel L. Jackson, effets spéciaux
plutôt honnêtes, c’est sûr que c’était pas du Ed
Wood tourné à l’économie. On s’en sort bien, mais je te préviens, je bosse plus
jamais avec toi !
― Mais
qu’est-ce que tu racontes ? Maintenant il faut capitaliser sur le succès.
Regarde, un copain a moi a écrit un nouveau script, ça s’appelle Asylum…
― Pff…
tu fais chier !
Snakes on a Plane, David R. Ellis,
2006
C'est vriament comme ça que ça a du se passer. effectivement, ils auraient dû fairele choix entre le film d'action et le nanar parce qu'entre les 2, ça ne ressemble à rien.
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