mardi 21 janvier 2014

Julien a vu… The Lunchbox



Vu le 14 janvier 2014
Pour raviver la flamme de son mari accro au travail, Ila décide de lui faire livrer de bons petits plats préparé sur les conseils de sa voisine invisible. Seulement voilà, le service de livraison n’étant pas un modèle d’organisation, le colis ne trouve pas son destinataire et c’est Saajan Fernandes, un vieil homme acariâtre, qui reçoit la « lunchbox » destinée à l’époux. Une correspondance étrange, drôle et émouvante se noue alors entre la belle délaissée et le futur retraité.
Tiens, une comédie romantique indienne qui se passe à Bombay… d’emblée, si vous avez deux sous de culture orientale, vous imaginez des sarabandes endiablées sur d’improbables musiques à base de « nanana dintac nanananana dintac », des couleurs délirantes et un surjeu de comédiens à faire passer Jim Carrey pour un moine franciscain sous Prozac. Eh ben pas du tout ! Vous pouvez oublier tout le délire Bollywood, ici tout est calme et posé, et l’humour présent doit bien plus à une comédie romantique anglaise, même si la culture décrite est indéniablement indienne. La qualité du film doit beaucoup à son décor, la populeuse Bombay, et à ses deux comédiens principaux, la belle et émouvante Nimrat Kaur et le digne et pince-sans-rire Irrfan Khan*. Leur relation épistolaire, parenthèse de liberté quotidienne qui permet enfin, à l’un comme à l’autre, d’exprimer leur mal-être et leurs aspirations cachées, est le cœur du film dans tous les sens du terme. Chacun en ressortira changé en mieux, même si le film se termine au moment où un film hollywoodien attaquerait sa dernière partie.
Et là, on ne va pas spoiler la fin, parce qu’en fait on est plusieurs à l’avoir comprise différemment. Il faut dire que les films hollywoodiens de ces dernières années ont tendance à bien souligner les faits qu’il faut comprendre (et à passer sous silences les absurdités), et un spectateur peu attentif comme moi ne comprendra pas forcément de suite le message final (pourtant évident dès que l'on me l'a expliqué, je suis donc un imbécile). Le film n’est reste pas moins excellent sur toute sa longueur. Le réalisateur s’amuse, en jouant notamment sur les ambiances interrompues brusquement, prouvant qu’il maîtrise parfaitement son langage cinématographique**. On trouve bien parfois une volonté d’expliquer certaines situations (comme le fait que la famille de la femme ne peut se permettre de demander de l’argent à celle du mari), qui doivent sûrement plus à l’exportation du film qu’à l’exploitation sur le marché purement indien***.
Mais cela ne fait pas un défaut, ni même une faiblesse dans cette comédie brillante et pleine d’émotions. Ce genre d’émotions que l’on n’affiche pas vulgairement, mais de celles rentrées, pudiques, sublimes. Un très beau moment, aussi drôle qu’attachant.
The Lunchbox, Ritesh Batra, 2013
* Que le public occidental aura pu découvrir dans Life of Pi, dans Darjeeling Limited, dans Slumdog Millionaire… oui, dans tous les films qui se passent en Inde en fait.
** Iil s’agit apparemment du premier film de Ritesh Batra, et pour un premier c’est un beau coup de maître.
** Ceci dit, l’Inde est un État vaste et à la hiérarchie sociale étroitement cloisonnée (peut-être même plus qu’en France, c’est dire), il est possible que je me trompe.

mercredi 15 janvier 2014

Julien a vu… La Reine des neiges



Vu le 12 janvier 2014
Les souverains du royaume d’Arendel ont deux filles, Elsa et Anna. La première, dotée de pouvoirs extraordinaires, est contrainte de garder la chambre pour ne pas blesser ses proches (l’école du professeur Xavier n’ayant pas encore ouvert de succursale arendelloise). Las, les parents meurent (c’est jamais bon d’être parent dans un Disney) et la princesse, une fois en âge de monter sur le trône, doit affronter la foule. La journée tourne mal et la voilà en fuite, laissant derrière elle un royaume en proie à des neiges qu’on dirait éternelles. Sa sœur s’en va donc à sa recherche.
Après une longue traversée du désert, les studios Walt Disney Animation étaient revenus sur le devant de la scène grâce à un Raiponce qui renouait avec la grande époque. Si le rendu était en 3D, le film s’inscrivait clairement dans la lignée de ces « grands classiques » 2D type Aladdin et autres Belle et la Bête, avec une épopée romantique et échevelée (ha, ha) remise au goût du jour, des personnages charismatiques en diable et une méchante grandiose. On les sentait bien partis, malgré le plutôt décevant Les Mondes de Ralph. Et… ben c’est pas encore tout à fait ça !
Cette Reine des neiges n’est pas exempte de qualités, loin de là. Déjà, il est beau. Il est même sublime : les images de neige et de glace, fatalement au cœur de l’intrigue, les paysages, les bâtiments, tout est magnifique. Les designs des personnages, bien que très classiques (et calibrés pour le merchandising), sont également attachants. Certains passages sont carrément étourdissants, notamment le point culminant du film : la très belle scène où Elsa chante sa liberté retrouvée (belle esthétiquement, hein, parce que musicalement… j’y reviendrai). Quant à l’intrigue, si elle démarre très mal avec une héroïne plutôt antipathique et un scénario boiteux*, elle se retourne plutôt intelligemment en cours de route pour aboutir à un final assez réussi (mais oubliez jusqu’à l’idée de retrouver le conte d’Andersen, hein, c’est vraiment pas le sujet ici).
Au niveau des idées énervantes, on notera un sidekick inutile en la personne du bonhomme de neige Olaf, dont les interventions sont drôles (le personnage étant interprété en douceur, totalement à contre-pied de ce à quoi ce genre de faire-valoir nous a habitués) mais toujours calées au mauvais moment**. Et surtout ça chante, mais ça chante… horriblement. Les studios ont fait le pari de la pop, comme dans Raiponce. Seulement les chansons de Raiponce servaient le propos et n’étaient jamais envahissantes. Mieux, elles étaient parfois gentiment ironiques (J’ai un rêve, notamment, qui était plus une parodie de chanson Disney qu’autre chose). Ici, non seulement l’aspect musical est très limite (voire foireux), mais en plus les textes sont aberrants. Le thème de l’héroïne (Anna), Le Renouveau, revient plusieurs fois, et à aucun moment le concept de « renouveau » n’a de sens dans le contexte (les paroles anglaises, For the First Time in Forever, est beaucoup plus cohérent).
À la décharge du film, la VF détruit une grande partie de l’intérêt de ces chansons, Emmylou Homs et Anaïs Delva gueulant un peu trop leurs partitions pour les rendre agréables (Kristen Bell et Idina Menzel s’en sortent beaucoup mieux en VO, où les chansons ont carrément plus de pêche). Seulement voilà, le film étant ouvertement axé « gamins »***, aucune salle parisienne n’a jugé bon de le programmer en anglais, je me le suis donc fadé en français, et j'ai moyennement apprécié.
La Reine des neiges, Chris Buck et Jennifer Lee, 2013

* « Votre fille dispose d’un grand pouvoir, mais elle doit apprendre à s’en servir car il pourrait être dangereux.
    Très bien, nous allons l’enfermer dans sa chambre pour toujours et lui interdire de les utiliser et de les mentionner à qui que ce soit.
    Super, faites donc ça, je ne vois pas comment ça pourrait mal tourner. Nous on peut pas vous aider de toute façon, on est très occupés à kidnapper des enfants et à chanter des conneries sur l’amour. »
** Quand on installe une course contre la montre parce que son personnage principal est en train de crever, on n’essaie pas de faire marrer l’audience avec des pirouettes débiles. C’est contreproductif. Je devrais pas avoir à l’expliquer à un studio qui a 90 ans d’animation derrière lui !
*** « De 6 à 9 ans », affichait le cinéma. D’ailleurs les pubs avant le film étaient clairement destinées aux mères amenant leurs gamins.

dimanche 12 janvier 2014

Julien a vu… The Secret Life of Walter Mitty



Vu le 7 janvier 2014
Walter Mitty est un rêveur. Il travaille pour un grand magazine comme responsable des négatifs*, un poste à l’agonie voué à disparaître avec le rachat de l’entreprise, et fantasme sur une collègue récemment arrivée. Comme sa vie n’a rien d’extraordinaire, il s’invente un monde où il sauve des vies et fait des expériences incroyables. Seulement voilà, Mitty doit retrouver un négatif égaré et, pour cela, courir de par le monde après le célèbre photographe Sean O’Connell.
Entre Tonnerres sous les tropiques, Disjoncté et Zoolander, Ben Stiller a amplement montré qu’il peut être un réalisateur inspiré et férocement drôle, tout en moquant les poncifs hollywoodiens. Pourtant, en tentant de faire un remake d’un film de 1947 nettement plus en demi-teinte, La Vie rêvée de Walter Mitty**, il tombe malheureusement dans le gentillet convenu. Le film perd rapidement le peu de souffle qu’il arrive à insuffler, la faute à trop de caricatures : Adam Scott en méchant « responsable de la transition », c’est-à-dire organisateur de plan social, Kristen Wiig en collègue idéale, Sean Penn*** en photographe solitaire et philosophe… Fasciné par les paysages qu’il traverse (belles images de l’Islande), Stiller en oublie de mettre du liant dans son film. Les rêves éveillés de Mitty sont au final peu exploités, voire carrément oubliés dans la seconde moitié du film, les retournements sont convenus (celui de la fin a particulièrement heurté mon intelligence de spectateur) et la morale beaucoup trop gnangnan.
L’ambition du film, enfin, est largement disproportionnée par rapport au propos, simpliste : « la vraie vie est dehors, là-bas, alors prends ton bâton de pèlerin et va te balader ». Au temps pour Voltaire, ou de façon plus pertinente pour Capra, qui expliquait dans son plus beau film que le bonheur pouvait aussi se trouver chez soi.
Bon, je m’emporte, La Vie rêvée de Walter Mitty est loin d’être une horreur irregardable. Ça joue bien (parfois très bien même, mention spéciale à Sean Penn, bien sûr, et à Olafur Darri Olafson, drôle et touchant – mais surtout drôle), certaines scènes sont vraiment drôles (notamment tout le passage au Groenland), et on sent toute la sincérité de Ben Stiller pour son sujet. Pourtant on le sent aussi bien éloigné des réalités, avec ce monde bêtement binaire où les gentils sont très gentils, les méchants très méchants et l’aventure réelle largement au niveau des rêves absurdes. Au point que [SPOILER] j’étais convaincu qu’une ultime volte-face scénaristique allait nous révéler qu’en fait « tout ça n’était qu’un rêve ». Mais non, tout ça n’est pas un rêve, et Ben Stiller n’est pas Wes Anderson, ni Michel Gondry. [/SPOILER] Par manque de patte, par manque de souffle, le film ne parvient pas à s’imposer comme une œuvre réellement originale. Juste un bon moment vite vu, vite oublié.
The Secret Life of Walter Mitty, Ben Stiller, 2013
* J’ignorais que ce poste existât encore. Le film tente d’entretenir une fascination pour la belle ouvrage de l’ancien temps, quand les photographes avaient une âme et travaillaient à l’argentique. Stiller lui-même a réalisé son film tout en pellicule. Mouais. Et tes effets spéciaux, Ben, ils sont pas numériques peut-être ?
** Comment « secrète » est devenu « rêvée », ça… nous entrons dans ce mystère de la traduction que j’évoque souvent. J’ai toutefois été surpris en découvrant le titre original, je m’attendais à une trahison du genre Stranger than Fiction (traduit de manière incroyablement audacieuse L’Incroyable Destin de Harold Crick).  À noter que le film est tiré d’une nouvelle de James Thurber, qui avait d’ailleurs déjà été adaptée en 1947. Mitty y était correcteur, un poste nettement plus intéressant que développeur.
*** Bon, après c’est Sean Penn. Il est cinq minutes à l’écran, il débite des conneries plus grosses que l’Himalaya qui l’entoure (« Parfois, je ne prends pas la photo, je laisse juste l’instant s’écouler » et autres délires new-age) mais c’est pas grave, c’est Sean Penn, il a la mégaclasse, il pourrait nous lire le bottin qu’on croirait que c’est du Sophocle.

vendredi 3 janvier 2014

Julien a vu… The Hobbit – The Desolation of Smaug



Vu le 23 décembre 2013

Comme ils se rapprochent de leur objectif, les fiers Nains moyennement guerriers de Thorin, accompagnés du magicien pomme de pin Gandalf et du Hobbit à l’anneau d’invisibilité Bilbo, poursuivent leurs rocambolesques aventures en terres du Milieu. Ils croisent notamment un hommoursporc, trois mille huit cent soixante-douze orcs, des Elfes aux mœurs déviantes et des humains droit sortis d’un chapitre de Game of Thrones. Et ça veut combattre un dragon !

Connaissez-vous l’origine de l’expression « tirer sur la corde » ? Moi non plus. Mais voilà, il y a « tirer sur la corde ». Il y a « participer à la grande finale du Tournoi international de tir à la corde de Lomé ». Il y a « relier deux pétroliers avec une corde et les lancer à pleine puissance dans des directions opposées ». Et il y a ce film. La bientôt trilogie du Hobbit réinvente le concept d’exagération, d’outrance, de superfétatoire avec une malice perverse. Et Johnny Tolkien, qui n’en est plus à ça près, de faire des loopings dans sa tombe gravée de runes elfiques.

Prenez un livre court, un sympathique roman d’initiation ouvertement pour enfants, fort bien écrit et admirable dans sa simplicité. Maintenant regardez Le Seigneur des anneaux, Le Trône de fer, Star Wars (IV, V, VI, hein, déconnez pas !) et deux trois autres sagas autrement épiques, et cherchez par tous les moyens à retrouver dans le premier ouvrage des éléments des autres. C’est idiot. C’est artistiquement absurde. Comme de vouloir refaire Macbeth en adaptant La Potion magique de Georges Bouillon, ou Dune en adaptant Roule Galette.

Je n’exagère même pas : il est évident que Peter Jackson cherche à reproduire les enjeux du Seigneur des anneaux dans son adaptation de Bilbo le Hobbit. La tentation, avec la soudaine obsession du pouvoir de Thorin, qui rend le personnage incroyablement antipathique. La malédiction de l’Anneau Unique, dont Bilbo semble déjà avoir conscience (comment ? Il ne sait rien du pouvoir néfaste de cet artefact, pourquoi ne l’utilise-t-il pas sans arrêt ?). La menace ultérieure, avec l’introduction d’un Sauron qui n’a rien à faire là. L’amour impossible (déjà un peu hors contexte dans le SdA) avec la risible romance entre Coucouille* et Nain n° 6**.

Bilbo le Hobbit, c’est un parcours initiatique. On prend un personnage falot et sans ambition et on lui fait subir des épreuves dont il sortira grandi. Le Seigneur des anneaux, c’est exactement le contraire : les personnages doivent sauver le monde d’un péril immense, ils n’ont pour ainsi dire aucun espoir de réussir et ils en sortiront marqués. Traiter l’un avec les codes de l’autre relève soit d’une trahison, soit d’une monumentale incompréhension de l’œuvre de Tolkien (dans ce cas précis je pencherai plutôt pour la première explication).

Peter Jackson en fait donc des caisses pour remplir ses deux heures trois quarts de vide. La scène des tonneaux, astuce fameuse du bouquin, est tirée en longueur et devient un délire hilarant où Legolas et Coucouille snipent des milliers d’orcs, perchés sur des nains dérivant dans des barriques. Gandalf s’amuse à tomber dans un piège où l’attend à peu près la moitié de l’armée de Barad-Dûr, juste pour assurer quelques minutes supplémentaires à l’écran. Et le face à face avec Smaug, s’il est grandiose tant qu’il se cantonne à la scène telle que décrite dans le bouquin (quoiqu’en décalage total par rapport au reste du film), il devient rapidement absurde tant le dragon rate d’occasions pourtant évidentes de se faire un nains-kebab. Le film se finit sur un cliffhanger poisseux après deux heures et demie de néant. J’aimerais dire qu’on touche le fond.

Et pourtant, étonnamment, j’ai passé un bon moment. Essentiellement parce qu’on était quatre ou cinq dans la salle et qu’on pouvait donc commenter les scènes sans trop passer pour des hérétiques cinéphobes. Parce que le nawak est parfois poussé tellement loin que l’amateur de nanar en moi était obligé de se réjouir. Et aussi parce que si l’on part du principe qu’on ne vient pas voir une adaptation du Hobbit mais plutôt de LotRO***, ou d’une partie de jeu de rôles prenant place dans l’univers de Tolkien, le film peut se prendre par le bon bout. Après tout, mieux vaut en rire, parce qu’on n’a pas encore vu le pire, ainsi, j’en prends les paris, que le prouvera le troisième opus.


* Oui, elle s’appelle Tauriel, je sais. Mais bon, déjà ça ressemble trop à Tauren, et quand on a joué à Warcraft III ça fait bizarre d’appeler une Elfe comme ça. Et ensuite, le rôle de ce personnage a manifestement été écrit par un gamin de cinq ans, j’emploierai donc un nom qui plaira à cette tranche d’âge.

** Oui, je sais, eux aussi ils ont des noms (genre Pipo, Harpo, Groin…). Mais je ne suis pas sûr que les scénaristes le sachent, alors on les appellera Thorin, le Vieux, le Gros, le Bourrin, puis Nain n° 4 à 12. Quoique je me demande s’il n’y en a pas un de mort dans le premier film… c’est dire si on s’y attache ! 

*** Lord of the Ring Online, le MMORPG dans les terres du Milieu. Il paraît que c’est bien, et qu’on peut y jouer de la cornemuse.