Vu le 24 novembre 2013
Lycéenne, plutôt littéraire, Adèle rencontre
Emma, étudiante aux Beaux-Arts. C’est le coup de foudre, Adèle découvre sa
sexualité et les deux partent vivre ensemble une passion des plus ordinaires.
Puis des tensions s’installent, une des deux fait une connerie classique et
elles se séparent.
Voilà. C’est
le film. Ça dure trois heures. La première moitié m’a saoulé. La seconde m’a
déprimé. Et le générique de fin m’a énervé. Alors c’est ça la Palme d’or, le
grand film d’Abdellatif Kechiche, la révélation ? Eh bah putain !
Bon,
calmons-nous, essayons d’être un peu objectif. Ce film est tiré d’une bande
dessinée que j’avais beaucoup appréciée, Le
bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh (éd. Glénat). Je dis bien
« tiré de » et pas « adapté », car Kechiche n’en a repris
que la prémisse, évacuant tout l’aspect sociologique, politique et tragique. En
soi, ce n’est pas forcément une mauvaise idée. Dieu sait qu’on a vu assez
d’homophobie ces derniers temps : traiter cette histoire d’amour comme une
simple histoire d’amour, sans trop se soucier du sexe des intervenants (enfin,
je me comprends), est finalement plutôt rafraîchissant*.
Seulement
voilà, une histoire d’amour, traitée sur le mode réaliste, c’est chiant.
Surtout un premier amour. Vous vous souvenez de votre premier amour ? La
drague insipide, les phrases hésitantes, les bisous ridicules… oui, vous vous
en souvenez, avec une pointe de nostalgie dans le fond de l’œil, mais sincèrement,
vous n’avez pas envie de le revivre, parce c’était quand même un peu naze. Le
premier amour n’a d’intérêt que parce qu’il y en a d’autres après, où on peut
profiter un peu de son expérience. Ben voilà, ce premier amour chiant,
passionné mais objectivement inintéressant, c’est La Vie d’Adèle…**. Filmé
pour ainsi dire en temps réel, avec des vraies hésitations de jeunes, des
vraies phrases mal fichues, des vraies erreurs. Et du sexe. On en a beaucoup
parlé de ces scènes de sexe, qui s’étendent ad
nauseam pendant de looooongues minutes de frotti-frotta. Personnellement elles
n’ont suscité en moi qu’un ennui poli. Oui, il y a de la passion. C’est
d’ailleurs à peu près le seul moment où les deux héroïnes ont l’air en
phase : pendant le sexe et de suite après. Post coitum animal laude.
Que nous
apprend ce film ? Que l’amour, c’est nul. Au début, c’est ridicule, au
milieu, le sexe est cool mais en dehors de ça on ne se comprend jamais qu’à
moitié, à la fin on se sépare parce que les petites incompréhensions mènent aux
grandes erreurs***. Voilà, amusez-vous bien avec ça. Sans être en complet
désaccord avec cette thèse (je reste un gros célibataire frustré), ça ne me
rend pas le film agréable, ni sympathique. Au niveau formel, puisqu’il faut
quand même en parler, Kechiche passe 80 % de son long-métrage à filmer les
visages d’Adèle Exarchopoulos et de Léa Seydoux en gros plan pour nous
permettre de compter chaque pore, chaque grain de beauté et chaque larme
(beaucoup de larmes, beaucoup de morve). C’est un peu indigeste au bout d’un
moment, et des moments il y en a beaucoup en trois heures. Surtout quand vous
comprenez que l’intrigue ne va nulle part, que les quelques oppositions
socioculturelles évoquées ne mènent à rien et qu’il s’agit, purement et
simplement, de l’histoire d’un premier amour. Ni plus ni moins. Ça plaira sûrement
à plein de gens, mais moi, ça me gave.
La Vie d’Adèle,
chapitres 1 et 2, Abdellatif
Kechiche, 2013
* Je me souviens d’ailleurs, après avoir lu la BD, m’être dit
« au-delà de tout le tragique de
cette autobiographie, c’est surtout, surtout une très belle histoire d’amour ».
C’est bizarre parce que Kechiche n’a traité que cette partie (à un court
passage près sur la violente homophobie de la cour du lycée et une vague
évocation de la différence de classe entre les familles d’Adèle et d’Emma), et
pourtant je ne suis pas exactement satisfait.
** C’est du reste parfaitement assumé : le « chapitres 1 et 2 » du titre n’est
évidemment pas à prendre comme l’annonce d’une suite, mais comme une explicitation :
chap. 1, l’enfance, chap. 2, le premier amour. Ce n’est pas fini pour Adèle,
heureusement. La question de la pertinence de ne traiter que de la partie
chiante d’une vie au cinéma reste toutefois posée.
*** Enfin, « grandes »… ceux qui ont lu la BD trouveront
peut-être que les malheurs ici représentés font assez pâle figure à côté de ceux
que l’œuvre originale (et véridique) raconte. Mais les malheurs, ça ne se
compare pas.