mardi 26 mars 2013

Julien a vu… Cloud Atlas



Vu le 22 mars 2013
Au xixe siècle, l'avocat Adam Ewing traverse l’océan pour une affaire de trafic d’esclave. Dans les années trente, le jeune compositeur Robert Frobisher entre au service du vieux maestro Vyvyan Ayrs. Dans les années soixante-dix, la journaliste Luisa Rey enquête sur un étrange meurtre. De nos jours, l’éditeur Timothy Cavendish se retrouve coincé par son frère dans une « maison de retraite ». En 2144 Sonmi-451, une femme-objet, est suspectée de meurtre et poursuivie par la police de la pensée. Et dans un futur indéterminé, Zachrie s’engage à mener la mystérieuse Meronym vers la montagne interdite. Et tout s’imbrique, se mélange, se ressemble…
Le nouveau film des Wachowski* affiche ses ambitions : adapter le Cartographie des nuages de David Mitchell, un roman racontant six histoires différentes, dans des époques différentes, sur des tons différents et une narration chaotique convergeant vers la compréhension obscure que toutes ces intrigues sont mêlées**.
Plutôt que de se contenter d’une adaptation plan-plan, les Wachowski ont fait un choix décisif et formellement original : ils ont sélectionné un casting que l’on va retrouver dans différents rôles, au cœur de chaque époque. Reconnaître qui est qui n’est pas l’aspect le moins agréable du film (si, dans le générique de fin, vous ne poussez pas un petit « Ah mais c’était lui aussi ? », vous êtes très fort !), mais est également très loin d’en constituer le seul intérêt.
Mêler les intrigues sur plusieurs époques n’est pas forcément l’aspect le plus original (sans même entrer dans le voyage dans le temps, on peut penser à The Fountain de Darren Aronofsky), mais changer autant de ton est déjà plus rare : ici, on passe d’une aventure maritime évoquant l’esclavage en 1849 à une comédie gériatrique britannique, à une histoire de science-fiction d’anticipation assez référencée (tiens, encore de l’esclavage…) mais bien menée, à un drame, à un polar seventies… les histoires se répondent, hoquètent sans jamais sacrifier la clarté. Mieux, elles se soutiennent les unes les autres : les aventures de Tim Cavendish dans son hospice, racontée seules, ne concourraient certainement pas au titre de comédie de l’année, mais la tension générée par les autres intrigues en fait un salutaire moment de détente.
Et, chose évidente à chaque seconde du film, les acteurs sont parfaitement choisis et s’amusent vraiment à incarner leurs multiples rôles (vous ne pensiez jamais voir Hugh Grant en chef de tribu sorti de Cannibal Holocaust ? ben moi non plus)***. Le film est-il parfait ? Non, sans doute pas. Les Wachowski (et leur pote Tom Tykwer) ne peuvent s’empêcher de rajouter un peu de philo au rabais et, surtout, de l’amour, le sentiment incompris qui va sauver le monde. Mais si ça peut agacer, j’ai personnellement pris mon pied avec ce (très) long-métrage (2 h 45) proprement fascinant. Et conformément à ma théorie voulant qu’une adaptation soit toujours inférieure à l’œuvre originale, je ne vais certainement pas tarder à attaquer le livre.
Cloud Atlas, Lana Wachowski, Tom Tykwer et Andy Wachowski, 2013
* Matrix, ça vous dit quelque chose ? Bon, ils ont un peu merdé avec les deux suites, mais on doit aussi leur attribuer Speed Racer, un film d’action plutôt destiné au jeune public, que contre toute attente j’aime bien.

** Oui, bon, c’est ce que j’en ai compris, je ne l’ai pas lu. Pas encore…

*** Et Dieu sait que ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Tom Hanks s’éclater à l’écran, tant son rôle ridicule de Robert Langdon semble l’avoir handicapé.

mercredi 20 mars 2013

J’aime pas le Printemps du cinéma



Euh... la Fête du cinéma à mon époque, c'était
10 francs la séance !
10 francs ça fait 1,50 euro, pas 3,50 !
Quand j’étais plus jeune, étudiant, j’adorais la Fête du cinéma. On pouvait à l’époque aller voir tous les films qu’on voulait pour une somme dérisoire (dix francs je crois…), et on enchaînait trois, quatre films dans la journée, dans une ambiance complètement dingue (enfin, c’était pas Burning Man, mais quand même…). Comme en plus ça tombait toujours dans des périodes de creux au niveau des grosses sorties (comme par hasard !), c’était l’occasion de visionner les plus abominables bouses, et j’en ai vu des merdes, des Sexe Intention, des Mod Squad… et aussi quelques perles dissimulées (The Faculty par exemple).
Le tout dans une ambiance, disons-le, franchement décomplexée. La Fête du cinéma, c’est l’occasion pour beaucoup d’aller hanter les salles obscures auxquelles ils ne rendent visite qu’une ou deux fois l’an pour découvrir à moindre frais l’une ou l’autre nouveauté. Et comme tous les noobs, les dilettantes du septième art envahissent cet univers sans en maîtriser les codes. Et ça parle pendant le film, et ça gigote, et ça tape dans le dossier du siège avant sans s’en rendre compte, et ça mâche bruyamment son mauvais maïs, et ça consulte son téléphone, voire ça répond en live ! 

À l’époque cette attitude m’agaçait déjà, eh bien je l’ai retrouvée avant-hier en allant visionner Oz the Great and Powerful, que j’évoquai tantôt. C’était en effet encore le Printemps du cinéma, une célébration païenne visant à remplir les salles de soudards avinés et de pétasses bavardes n’ayant aucun respect pour les films qu’ils viennent voir. Entendez bien sûr par là : « n’ayant pas la même attitude que moi ! »

Vous savez pourquoi je n’aime pas trop ce genre de manifestations ? Parce qu’elles me rappellent à chaque fois à quel point je suis devenu un connard élitiste. Je ne supporte plus que quelqu’un murmure sur le siège à côté (sauf quand c’est moi et que le film est mauvais, bien sûr), ça m’énerve quand un type se mouche toute la séance à deux rangées de là (sauf quand c’est moi, c’est quand même pas ma faute si je suis malade !), la VF m’insupporte au plus haut point (sauf quand c’est… ah ben non ça marche pas là !). 

Il y a plusieurs façons d’apprécier le cinéma. On peut y aller très sérieusement, un peu comme moi ; même quand je vais voir Hansel et Gretel je laisse au film une chance et je reste silencieux jusqu’à la fin du générique. Et puis on peut aussi renouer avec la vision ancestrale du concept, et y aller comme à un divertissement collectif devant lequel il est permis de s’enthousiasmer, de rire ou de commenter, dans la limite du raisonnable, sans rentrer dans des considérations techniques*. Tous les films ne sont pas des œuvres d’art immortelles et quand bien même, beaucoup se satisferaient d’un bruit de fond. Je me souviens du témoignage de Boulet qui évoquait les projections au Tchad, où le public passait son temps à hurler, à manger, à vivre devant l’écran**. 

Il y aura toujours des séances pour les gens qui aiment voir les films en paix. Mais il faut être bien conservateur, bien jaloux de son petit pré carré de « cinéphile » pour refuser aux non-membres de la communauté, aux profanes du septième art l’entrée au temple sous le prétexte (souvent fallacieux, toujours insultant) qu’ils « ne comprennent pas ». Le cinéma est un des rares arts restés ouvertement populaires, nous devrions nous réjouir que des non-habitués y viennent, même ponctuellement.

Après, si on pouvait interdire les basketteurs de deux mètres cinq, ça m’arrangerait !

* Ce qui va de la chasse au faux raccord à cet élément de détail que les professionnels appellent « jeu d’acteur ».
** Notes t. 2, Le Petit Théâtre de la rue.

mardi 19 mars 2013

Julien a vu… Oz, the Great and Powerful



Vu le 19 mars 2013
Oscar Diggs, dit Oz, est un magicien de cirque plutôt doué mais sans succès. Séducteur invétéré, il doit fuir le Kansas en ballon pour éviter un mari jaloux et se retrouve pris dans une tornade. Et quand on est pris dans une tornade au Kansas, tous les Américains le savent, on se retrouve au merveilleux pays d’Oz. Là il croise des sorcières, des singes volants, des villages en porcelaine et il est pris pour « le Magicien », l’élu-qui-selon-la-prophétie-doit-venir-sauver-le-monde*.
S’il est assez peu connu en France, Le Magicien d’Oz reste extrêmement populaire aux États-Unis. Cette fable écrite par L. Frank Baum a connu plusieurs adaptations, hommages et parodies qu’il serait compliqué de lister**. On se souvient généralement de quelques éléments (Dorothy, le lion peureux, l’épouvantail et l’homme de fer, la route de briques jaunes, les singes volants, les Munchkins…), mais pas forcément de l’histoire précise.
Disney voulant produire une suite, ou une préquelle, ou n’importe quoi en rapport avec l’univers d’Oz, c’est Sam Raimi qui se retrouve au volant de la machine. Oui, Sam « Evil Dead » Raimi, Sam « Spider-Man » Raimi, Sam « Xena princesse guerrière » Raimi (je vais arrêter là), le copain geek des frères Coen. Chez Disney. Le résultat est un film que nous dirons pudiquement « familial », c’est-à-dire calibré pour les gosses.
Visuellement, ce film a dix ans de retard. Les critiques peuvent s’extasier sur les décors magnifiques et acidulés, on a déjà vu ça ailleurs, le gentil singe volant Finley a l’air de sortir du Monde de Narnya et le design de la Sorcière de l’Ouest… m’a fait rire (ce n’est pas son but). Au niveau scénario, par contre, c’est trente ans de retard qu’il affiche ! La seule bonne idée du film, partir du (spoiler pour ceux qui ne connaissent pas l’original) fait que le Magicien d’Oz est un imposteur, est finalement assez peu exploitée et James Franco peine à faire de son personnage un type attachant. Pas parce qu’il n’est qu’un vil escroc égoïste, mais parce que justement il ne l’est pas !
Et c’est sans doute un des gros problèmes du long-métrage : c’est un de ces films où le héros commence très bas et redevient peu à peu respectable, réalise qu’il préfère faire le bien et emballe la nana à la fin, juste récompense de ses efforts évolutifs. Admettons. Seulement Oz ne part pas de si bas ! D’accord, c’est un séducteur, et c’est un… faux magicien ? Ben, oui, forcément, dans le vrai monde les magiciens n’existent pas, ce n’est quand même pas sa faute s’il ne tombe que sur des publics stupides qui exigent qu’il fasse remarcher les petites filles handicapées (ce n’est pas une blague !).
Du coup il n’y a pas d’évolution pour le personnage, qui passe juste le film à aller d’un endroit à l’autre. Comme du reste les épreuves qu’il affronte ne sont pas bien méchantes et que les vilaines sorcières ont un plan globalement pourri, que l’humour est destiné aux cinq-douze ans et qu’il y a des animaux qui parlent, je vais me contenter de dire charitablement que ce n’est pas mon film préféré de l’année***.
Oz, the Great and Powerful, Sam Raimi, 2013
* Il faudrait numéroter les clichés, on gagnerait du temps. Bref, en ayant lu ça vous savez déjà comment le film va se finir.
** Citons au moins le film de 1938 avec Judy Garland, qui a posé moult bases (la chanson Over the Rainbow notamment, que beaucoup de Français ont eu l’air de découvrir il y a deux ans quand ce gros type hawaïen mort est soudainement apparu au Top 50), la comédie musicale Motown The Wiz, la version d’Alan Moore dans Lost Girls (pour lecteurs avertis, mais très bien) et de nombreux pastiches dans de non moins nombreuses séries, notamment le principal de Loonyversity dans Les Aventures des Tiny Toons (pour rester dans ma génération).
*** Et il y a Bruce Campbell au générique, je dis bien : BRUCE CAMPBELL, l’acteur le plus cool de l’univers connu, AU GÉNÉRIQUE, pour un caméo ridicule de quinze secondes ! Tout le film est résumé : effet d’annonce gigantesque (Sam Raimi, Magicien d’Oz, Bruce Campbell, 3D…) pour deux heures de désillusion. Et c’est long, deux heures.

lundi 18 mars 2013

Julien a vu… Au bout du conte



Vu le 9 mars 2013
Pierre s’est vu prédire sa mort prochaine mais il s’en fout, vu qu’il ne croit pas à toutes ces conneries et qu’il a déjà assez à faire avec sa nouvelle copine Éléonore qui s’est installée chez lui avec ses deux filles, Morgane et Johanna. Pendant ce temps Sandro, le fils de Pierre, rencontre Laura, jeune fille de bonne famille, et c’est le coup de foudre (au grand dam de Clémence, sa consœur de Conservatoire). La tante de Laura, Marianne, comédienne, aimerait reprendre des leçons de conduite (ça tombe bien, Pierre est moniteur d’auto-école) et s’inquiète pour sa fille Nina qui veut faire sa communion. Arrive Maxime, voisin de Marianne…
Vous trouvez que c’est compliqué ? Ben non en fait. Certes il y a pas mal de personnages mais le film prend son temps pour bien établir qui est qui par rapport à qui, et le rythme trompe efficacement l’ennui en attendant de saisir la marche des événements*. Voici donc le dernier film de Bacri-Jaoui, un duo (puisque apparemment ce n’est plus un couple) toujours aussi doué pour donner vie à des personnages vrais. Jouant cette fois sur les codes des contes de fée (quelques scènes oniriques font écho à Cendrillon, au Petit Chaperon rouge… sans finesse mais avec une certaine élégance), Agnès Jaoui décide de parler de la vie en général, des lubies enfantines (une petite fille soudainement obsédée par la Bible) à la crise de la cinquantaine (éternel Jean-Pierre Bacri dans le rôle de Jean-Pierre Bacri, que personne ne réussit aussi bien que lui), en passant par les amours de jeunesse et leurs avatars.
Elle glisse incidemment un peu de lutte des classes, évitant un écueil classique des « films français »**. Et assume complètement l’échec du mariage moderne, quasiment tous les familles ici présentes étant recomposées (à l’exception notable des parents de Laura, couple très bourgeois et pas du tout dysfonctionnel, avec père attaqué en justice pour pollution environnementale et mère botoxée à mort, chaleureuse comme un iceberg).
Niveau casting, pas de problèmes, jeunes et vieux jouent avec un naturel qui fait plaisir à voir. On notera juste l’étrange présence de Benjamin Biolay : le chanteur ne joue pas, il mise tout sur le charisme et, pour une raison qui m’échappe quelque peu, ça marche. Sa voix profonde, son élégance un peu effrayante suffisent à créer un personnage pourtant pas gagné d’avance.
Agnès Jaoui nous propose une tranche de vie qu’on a plaisir à suivre, n’oubliant jamais d’amuser tout en montrant des choses parfois graves, mettant sans cesse en avant des personnages pleins de vie, même quand ils ont du mal (Bacri, Bacri, toujours Bacri, aussi drôle qu’émouvant en éternel handicapé émotionnel mis face à la mort). Malgré quelques facilités*** (on ne peut pas dire qu’on nage dans l’originalité), c’est un vrai plaisir de cinéma. Je conseille.
Au bout du conte, Agnès Jaoui, 2013
* Et comme le disait Hervé, « Quand tu as lu Le Trône de fer, franchement, y a rien de compliqué ! »
** Vous aurez peut-être remarqué que dans beaucoup de longs-métrages « TF1 », le Français moyen travaille à la télé, dans une agence de pub ou un truc du genre. En dehors des films grolandais, les ouvriers se font rares (c’est bizarre, ils représentent quand même un quart des actifs). Certes dans Au bout du conte on n’a pas de travailleur à la chaîne, mais quand même du moniteur d’auto-école et de la bistrotière réalistes, ce qui n’est pas si mal.
*** C’est étonnant de voir comme une blague aussi éculée que « C’est ton petit ami ? Je l’ai pris pour le serveur » peut passer quand elle est bien tournée.