mardi 21 mai 2013

Julien a vu… Les Profs



Vu le 17 mai 2013
Un jour de mai qu’une ondée passagère me poussa sous l’abri providentiel d’une porte cochère du quartier Montparnasse, j’avisai une salle de cinéma toute proche.
Assuré de ma carte d’abonnement, je décidai d’aller passer le mauvais temps dans la première salle venue. Là, affalé dans un fauteuil acceptable d’une salle peu fréquentée, j’observai mollement l’écran et ne mis pas longtemps à identifier le film en question : il s’agissait des Profs, adaptation de la BD du même nom, réalisée par l’ancien Robin des Bois Pierre-François Martin-Laval, dit « Pef ». J’aime bien Pef. Ses personnages un peu lunaires et bon enfant lui valent souvent de passer pour un fils spirituel de Pierre Richard, fait souligné par la présence régulière du Grand Blond vieillissant dans ses films*. Pas dans celui-ci, heureusement.
Je me rendis vite compte que Les Profs était d’un tout autre acabit. Les gags lourdingues, les acteurs venus cachetonner et en faisant des caisses… chaque scène, chaque tentative d’humour vient vous frapper au visage, vous cracher dans la gueule. Soyons clair, la BD Les Profs n’est pas un chef-d’œuvre, mais Erroc et Pica, les auteurs, témoignent au moins d’une réelle affection pour leurs personnages**. Sur le papier, l’équipe éducative est composée de profs moyens. Certains tirent au flanc, certains dépriment, certains s’obstinent, ce sont des êtres humains caricaturaux mais normaux. Ici, l’équipe présentée est ouvertement constituée des « pires profs de France » (un plan machiavélique de François Morel, qui doit encore se demander ce qu’il fout dans ce film), un ramassis d’abrutis, voire de fous dangereux qui n’ont rien à faire dans une salle de classe***. Ce n’est qu’un des aspects insupportables du film.
Alors que je prenais une énième beigne, je remarquai une étrange forme fantomatique à mes côtés. Un homme, la cinquantaine, au visage remarquablement banal (une performance pour un fantôme) sanglotait à mes côtés. C’est ainsi que je le reconnus.
« Vous êtes… vous êtes l’esprit de la comédie française, n’est-ce pas ?
— Oui, me répondit-il faiblement. Mais je ne suis plus très en forme dernièrement. Vous savez, il y a eu un temps, pas si lointain, où j’ai cru qu’il y avait de la place pour une comédie originale, drôle, sincère, absurde, profonde et futile en même temps. Mais ce temps est révolu. Entendez, les gens rient dans la salle. Ils rient à ce… ce…
— Ce sont des enfants, leur goût n’est pas fait… ils rient en voyant un homme se faire taper dans les noisettes, c’est tout. Vous n’êtes pas mort, je sais qu’il y a encore de la place pour de la bonne comédie. Il y a encore de l’espoir, croyez-moi ! »
L’image me sourit doucement, puis s’affadit peu à peu, jusqu’à s'évaporer complètement au moment précis où je compris à qui j’avais réellement affaire.
Vous le connaissez aussi. Artus de Penguern est surtout célèbre pour son rôle dans Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (le romancier bloqué). Mais il est également le réalisateur de deux comédies sensibles, sincères et délirantes, choses rares dans notre paysage cinématographique : Grégoire Moulin contre l’humanité et La Clinique de l’amour. Ces derniers temps il anime une chronique dans l’émission de Pascale Clark sur France Inter. Artus de Penguern est de ces gens qui inspirent une sympathie immédiate, un artiste discret qui n’est pas tombé à la bonne époque. Ses films n’ont pas trouvé leur public, mais ils seront redécouverts un jour prochain, je n’en doute pas.
Je n’ai appris que quelques jours après Les Profs qu’Artus de Penguern nous avait quittés le 14 mai, victime d’un AVC brutal. La coïncidence entre les deux événements teinte à mes oreilles avec une vilaine ironie. Plus de trois millions de spectateurs pour Les Profs à sa quatrième semaine de projection. Les films de Penguern ne sont même pas restés quatre semaines à l’affiche. Peut-être l’apparition avait-elle raison, peut-être ne subsiste-t-il réellement plus aucun espoir…
En sortant de la salle, un des gamins qui avaient ri pendant la séance tenait la main de son père. L’air le plus anodin du monde, il lui demanda sur un ton entendu : « C’était nul, hein ? »
Peut-être encore une petite lueur…
Les Profs, Pierre-François Martin-Laval, 2013
* dont le sympathique Essaye-moi, et le très moyen King Guillaume
** Et au passage, « Pica », c’est Pierre Tranchand. Pierre FUCKING Tranchand ! Tous les lecteurs du Pif Gadget de la grande époque connaissent le duo d’enfer qu’il formait avec François Corteggiani sur des séries aussi géniales que Marine, L’École Abracadabra, Smith et Wesson et des one-shots comme La Créature des ténèbres… Putain, Pierre, je sais pas pourquoi tu as pris un pseudo, mais moi je me souviens de toi, et je rage d’autant plus contre ce film qui te pisse à la gueule !
*** Et je ne parle même pas du prof de sport, dont les actions ouvertement pédophiles (si, si, attraper un garçon de seize ans par les couilles, ça s’appelle un attouchement, arborer deux lycéennes sur les genoux à la cantoche, même si elles sont incarnées par des comédiennes de vingt-cinq ans, ça relève du harcèlement) ne semblent déranger absolument personne.

jeudi 16 mai 2013

Julien a vu… L’Écume des jours



Vu le 11 mai 2013
Colin rencontre Chloé et la vie devient plus belle. Ensemble, ils habitent un Paris enchanté avec leurs amis Nicolas le cuisinier-avocat et Chick l’ouvrier philosophe. Puis Chloé attrape un nénuphar au poumon, Chick devient accro à Jean-Sol Partre, et Nicolas vieillit à vue d’œil. C’est la vie : au début on naît, puis les emmerdes s’accumulent, et à la fin on meurt.
L’Écume des jours est un roman inadaptable, mais si quelqu’un devait l’adapter, c’était Michel Gondry. La poésie virtuose mais étrange de Boris Vian, très ancrée dans son époque bath des années quarante, ne plaît pas à tout le monde et semble se refuser à la mise en image, encore plus à la mise en scène. Pour illustrer Vian, il fallait un réalisateur sachant sortir du cadre, n'ayant pas peur d'invoquer le rêve dans son œuvre. Un Wes Anderson, ou un Michel Gondry*. Un réal qui ne serait même pas au courant que ce qu'il tente de faire est impossible, et qui du coup y arriverait magnifiquement. La version présentée ici est tout simplement somptueuse, tenant autant du film d’animation (les effets spéciaux à la Gondry, c’est du bricolage en stop-motion** qui fleure bon la poésie surannée) que du théâtre surjoué.
Tout y est, du moins autant que je me rappelle du roman. La chasse à l’anguille dans la tuyauterie, le pianocktail (aaaah, le pianocktail !), les conférences hystériques de Jean-Sol Partre dans sa pipe géante, le nénuphar, les métiers absurdes que Colin doit effectuer à son corps défendant… Gondry a parfaitement saisi les symboliques chères à Vian et fait jouer autant son décor que ses personnages : de lumineux et spacieux, l’appartement de Colin devient une abominable tanière décrépite au fur et à mesure de la descente aux enfers du couple.
Le cinéaste s’entoure en outre d’un casting impeccable : Romain Duris, joyeux, Audrey Tautou, agréablement pas douée***, Omar Sy, classieux (si on m’avait dit à l’époque du Carton que ce mec deviendrait acteur), Gad Elmaleh, attristant en junkie existentialiste, Aïssa Maïga en Alise à fleur de peau et Charlotte Le Bon en Isis fofolle. Plus quelques copains passés dire coucou sur le tournage, comme Alain Chabat, Philippe Torreton ou Zinedine Soualem, toujours impeccablement employés. À l’arrivée vous obtenez un film surprenant, une expérience cinématographique unique, différente, enivrante, et déprimante. Parce que sans trop spoiler, L’Écume des jours, c'est comme la vie, c'est beau, souvent absurde, parfois joyeux, mais ça finit mal.
L’Écume des jours, Michel Gondry, 2013
* Si vous n’avez jamais vu de Michel Gondry, c’est un tort, d’autant que le monsieur ne s’est encore jamais trop loupé, quel que soit le style attaqué : Human Nature, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, La Science des rêves, Be Kind Rewind, Le Frelon vert (tout le monde n’aime pas, mais moi j’adore). Sa poésie, sa manie de proposer des ovnis filmiques toujours drôles, joyeux, naïfs et profonds en même temps, ont conquis autant les Français que les Américains. Ce n’est pas rien.

** Tiens, à propose de stop-motion, savez-vous que Ray Harryhausen est mort la semaine dernière ? Eh bien c’est très triste.

*** J’adore le fait qu’elle chante mal et dessine comme un pied. Souvent dans ce genre de film on pare l’actrice principale de toutes les vertus possibles, ici, non.

mardi 14 mai 2013

Julien a vu… Iron Man 3



Vu le 10 mai 2013
Tony Stark est Iron Man. Oui, bon, tout le monde le sait, il l’a annoncé publiquement à la fin du premier film. Après, il a battu Mickey Rourke et ses fouets électriques, puis il a repoussé une invasion alien avec ses potes Avengers (il a sûrement fait d’autres trucs, mais j’ai oublié). Et comme il a l’air de s’ennuyer, il lance un défi à une organisation terroriste en lui donnant son adresse perso. Bien sûr sa maison se fait atomiser dans la foulée, mais n’ayez crainte, ça faisait partie de son pl… ah non en fait. Il serait pas un peu con, Tony Stark ?
Et de trois, revoilà Iron Man, le chouchou des foules, l’idole des jeunes, le modèle de tous les apprentis métalliers. Et cette fois il va avoir affaire à l’un des méchants les plus emblématiques de l’univers Marvel, le terrible Mandarin, terroriste asiatique armé de ses anneaux de pouvoir*. Et… bon, je vais pas spoiler le film, il contient ce qui est à mon avis une très, très bonne idée (opinion que ne sera pas forcément partagée par les fans hard-core) et de nombreuses lignes de dialogues sympas. Mais bon sang que c’est creux !
Tony Stark est un crétin. C’est l’homme le plus intelligent du monde, mais c’est un crétin. Il n’apprend jamais. Vous me direz, « oui, mais c’est comme ça qu’on l’aime, Tony c’est un macho cynique, avec une répartie de fou, Tony il emballe les gonzesses, picole et sauve le monde tout en trouvant un remède contre le cancer, tout ça ». Certes. Et c’est bien le problème. Dans ce film, il commet bévue sur bévue, la plus grande étant celle que je citais dans le préambule, et il demande pardon mille fois, mais on le connaît, on sait très bien qu’il recommencera à la première occasion.
Et ça ne rend pas le personnage sympathique. Parce que ses décisions débiles mettent plein de gens en danger. Il faisait aussi ça dans Avengers en titillant Bruce Banner, mais alors il avait au moins l’air d’avoir un plan B.
Par ailleurs, je disais que le film contient une excellente idée, seulement il n’en fait rien (c’était pourtant une opportunité évidente de rendre le film signifiant, d’apporter un vrai regard intéressant sur un point crucial de la culture américaine**). Du coup on ne peut s’empêcher d’être un peu déçu de se taper plus de deux heures de tchac-tchac-boum-boum pour rien.
Reste toutefois un film d’action pas dégueu du tout : les scènes sont claires, on comprend ce qui se passe, les designs restent cool, Robert Downey Jr.*** est au taquet en matière de flegme et les passages avec Harley, le gamin qui l’héberge au milieu du film, sont excellents, filmés à hauteur d’homme sans esbroufe, laissant les dialogues et les comédiens s’exprimer de manière intelligente.
Iron man 3, Shane Black, 2013
* Et une horde de surhommes indestructibles qui régénèrent avec une espèce de pouvoir magmatique. Dans le comics, ce sont des nanobots créés par le docteur Aldrich Killian. Ici, c’est plus une sorte de sérum type super-soldat, comme dans Captain America. Ce qui n’explique toujours pas pourquoi le pouvoir de régénération s’accompagne systématiquement d’une super force et de talents immédiats pour la baston. Il faudra expliquer ça aux scénaristes un jour : être fort et savoir se battre sont deux choses différentes !
** D’autant que cette fois, ce n’est plus le tâcheron Jon Favreau qui réalise mais bien Shane Black, mythique scénariste de L’Arme fatale et de Last Action Hero, et réalisateur de l’excellent Kiss Kiss Bang Bang (déjà avec Robert Downey Jr. bien avant Iron Man). On espérait un peu plus de sa part !
*** Qui reste la meilleure chose qui ait pu arriver à la licence Iron Man, faut-il le rappeler ? D’autant que le rôle fait écho aux frasques de Downey, triquard à Hollywood (dans la vraie vie, il s’est fait virer d’Ally McBeal pour quelques problèmes impliquant de la drogue et des armes à feu. L’ami Robert était en fait assez proche du Tony Stark paillard des débuts, et il n’a pas dû chercher l’inspiration bien loin).

lundi 13 mai 2013

Julien a vu… Les Gamins



Vu le 7 mai 2013
Lola rencontre Thomas. Elle est assistante de diplomate, il est musicien amateur. Comme ils partagent les mêmes délires, ils décident de vivre ensemble, et comme Thomas est un romantique il demande Lola en mariage. Vient alors la traditionnelle rencontre avec les parents, notamment Gilbert, le père dépressif de Lola qui supplie son futur gendre de ne pas se marier. Parce que le mariage, c’est rien que des emmerdes !
N’est-elle pas originale, la prémisse de ce petit film français ? Le mariage pourrit le couple, une antienne qu’on connaît en gros depuis… le début de la civilisation. « Dans tous les cas, mariez-vous. Si vous tombez sur une bonne épouse, vous serez heureux. Si vous tombez sur une mauvaise, vous deviendrez philosophe, ce qui est excellent pour l’homme » (Socrate), « Le mariage est la solution à tous les problèmes qu’on n’aurait pas eus si on était resté célibataire », « Le mariage c’est la mort de l’espoir » (Woody Allen), « Le mariage est la principale cause de divorce » (Oscar Wilde), « Le mariage simplifie la vie et complique la journée » (Jean Rostand), « Le célibat, on s’ennuie. Le mariage, on a des ennuis » (Sacha Guitry), « Avant le mariage, une femme doit faire l’amour à un homme pour le retenir. Après le mariage, elle doit le retenir pour lui faire l’amour » (Marilyn Monroe), « Faire la cour avant le mariage est un charmant prologue pour une pièce bien ennuyeuse » (William Congreve)…
Bref, si ce film doit être bon, ce sera plus grâce à ses gags et ses comédiens qu’à son histoire battue et rebattue. Coup de bol, nous avons affaire à Max Boublil et Alain Chabat, qui ne sont pas les derniers des rigolos*. Les deux générations de comique rivalisent de bêtise et leurs performances restent distrayante, l’ancien Nul se taillant la part du lion avec un rôle en pleine crise de la cinquantaine**.
Là s’arrête l’intérêt du film, qui ne fait finalement qu’enchaîner des gags sans bien réaliser qu’il passe complètement à côté de son sujet principal : le couple. Bien sûr à la fin Gilbert et Thomas réaliseront qu’ils ont agi en parfaits crétins***, et bien sûr leurs femmes leur pardonneront (un peu trop facilement vu la masse de conneries accumulées), et cet aspect est clairement la grosse faiblesse du film.
S’il est drôle, et même très drôle par moment, il n’a pas grand-chose à dire sur son sujet. Les dialogues fonctionnent souvent bien mais le script a clairement été rédigé à la va-vite sur un coin de nappe lors d’une soirée arrosée, dans ces moments où on trouve souvent géniales les idées les plus communes.
Les Gamins, Anthony Marciano, 2013
* On en oublie d’ailleurs Sandrine Kiberlain et Mélanie Bernier, très justes mais assez discrètes dans le film contrairement à ce qu’essaie de nous faire croire la bande-annonce.
** On notera aussi la présence d’Arié Elmaleh (frère de) en producteur de disques, de Kheiron (de Bref. Vous vous souvenez de Bref. ? c’était une mini-série sur Canal + ? Oui, je sais, c’est tellement 2012 !) en ambassadeur d’Iran, d’Alban Lenoir (Herocorp) en connard et d’Iggy Pop. Oui, Iggy Pop. Qui est prêt à se compromettre dans n’importe quoi contre un gros chèque, manifestement.
*** Dans ce genre de situation, la plupart des films tentent généralement de donner aux actions des personnages principaux un côté « cool », qui fait oublier leur stupidité. Ici, non, le spectateur est parfaitement conscient que les deux héros font n’importe quoi, et un minimum de conscience l’oblige à se ranger du côté des femmes qui contemplent le désastre. Ce qui gâche quand même un peu la rigolade.