mardi 17 décembre 2013

Julien a vu… Casse-tête chinois



Vu le 10 décembre 2013
Xavier vient d’avoir quarante ans. Ça fait un bail qu’on le suit, notre Xavier, depuis son légendaire séjour Erasmus à Barcelone jusqu’à sa séparation d’avec Wendy qui le laisse sur le carreau à Paris alors que son ex emmène ses deux gosses à New York. Comme à côté il fait un enfant à sa pote lesbienne et revoit ponctuellement son ex précédente Martine, sa vie devient un petit peu compliquée. Et puis il a un roman à écrire, encore…
L’Auberge espagnole fut un des grands éclats de rire de ma vie étudiante (il faut dire que j’étais bien entouré), Les Poupées russes fut un éclat plus modéré mais néanmoins très réussi, j’attendais donc beaucoup du troisième opus des aventures de Xavier par Cédric Klapisch. Eh bien ça sent la quarantaine, puisque les personnages, à l’image du ton du film, sont à la fois plus sages et plus bordéliques, comme si tout ce que l’on estimait comme acquis jusque-là se cassait plus ou moins la gueule une fois de plus.
Sa vie de famille partant en couille, Xavier déménage à New York pour rejoindre ses enfants et, du coup, découvre la Grosse Pomme. Entre Chinatown et Central Park, entre les histoires d’appartement et les problèmes d’immigration, Klapisch nous raconte une histoire décousue dans un désordre pas forcément très bien maîtrisé, à l’image de la vision de la vie du héros. Quelques fulgurances viennent surprendre (l’intervention incongrue de philosophes allemands, une embrouille typiquement klapischienne impliquant une course-poursuite rigolote, des Chinois bien sympathiques…), l’intégration du facteur « gamins » apporte une belle fraîcheur*, mais dans l’ensemble l’intrigue est, sinon confuse, pas très claire.
On m’objectera facilement que c’est le thème même du film : la vie, ça ne va pas bêtement d’un point A à un point B, ça prend plein de virages, de détours, ça n’a pas d’objectif clair et quand le bonheur arrive, il faut le saisir parce qu’on ne sait jamais quand on le reverra ni s’il restera longtemps… En ce sens la forme du film rejoint son fond, et sans ennuyer, ce qui est déjà beaucoup. Toutefois on pourra regretter un final tellement facile qu’il en paraît bâclé, fait étonnant pour un projet d’une telle envergure.
Côté acteurs, on retrouve le quatuor gagnant Romain « je joue pas très bien mais j’arrive à vous faire croire qu’en fait si ! » Duris, Kelly « je suis la fille la plus belle de l’univers mais j’en fais pas un plat » Reilly, Audrey « pour rendre mon personnage plus énervant j’ai décidé de jouer encore plus gnangnan que d’habitude » Tautou et Cécile « tiens, si j’essayais d’être vulgaire, pour voir » De France. Chacun a ses défauts, mais finalement ils réussissent plutôt bien leurs personnages d’êtres humains modernes lambda**. Avec en prime quelques guest (Kyan Khojandi*** en jeune auteur, Dominique Besnehard en éditeur cash) qui viennent éclairer une scène de temps à autre. Un film pas désagréable donc, mais dont j’ai du mal à pardonner le final plutôt bancal. Dommage de conclure une trilogie aussi sympathique comme ça. Ceci dit, qui a dit que c’était fini ?
Casse-tête chinois, Cédric Klapisch, 2013
* À noter que les jeunes comédiens jouent plus ou moins bien, mais que celui incarnant le fils de Xavier tire clairement son épingle du jeu.
** En fait c’est curieux mais on a tellement l’habitude de voir des quarantenaires jouer des trentenaires qu’on trouve les quatre comédiens, pourtant dans les clous (Duris : 39 ans, Reilly : 36 ans, Tautou : 37 ans et De France : 38 ans), bien trop jeunes pour leurs rôles respectifs.
*** Mais si, Kyan Khojandi ! Le mec de Bref ! La mini série qu’on pensait que ça allait détrôner Kaamelott et en fait ça s’est arrêté au bout d’une saison et demie.

jeudi 5 décembre 2013

Julien a vu... Les garçons et Guillaume, à table !



Vu le 29 novembre 2013
Quand il était jeune, le comédien Guillaume Gallienne croyait qu’il était une fille. Parce que sa mère les appelait, lui et ses frères, de cette manière cavalière au moment du repas familial : « Les garçons et Guillaume, à table ! »* Du coup, en grandissant, sa personnalité s’est forgée autour de cette certitude, au grand désespoir de sa famille, notamment son grand bourgeois de père.
En adaptant son spectacle au cinéma, Guillaume Gallienne prenait plusieurs risques. D’abord le risque classique, inhérent au portage sur grand écran, de tomber dans le théâtre filmé sans intérêt. Force est de reconnaître qu’il se tire admirablement de cette contrainte délicate, et même avec un certain panache, mêlant les éléments scéniques (il passe une partie du film sur les planches en s’adressant à un mystérieux public, commente chaque scène sur un ton de narrateur de théâtre…) et la mise en scène cinématographique dans des décors judicieux. La maison bourgeoise dans laquelle grandit la famille Gallienne, notamment, avec ses moulures, ses dorures et ses fissures, est en elle-même suffisamment évocatrice de l’ambiance familiale. La mise en scène est une vraie mise en scène de cinéma, ce qui est somme toute assez rare dans ce genre de cas**.
D’autre part, le sujet est lui-même relativement délicat : une autobiographie sur un garçon qui se prend pour une fille, sans apitoiement, misérabilisme aucun, sous la forme d’une comédie dynamique et bien rythmée. Pas évident, mais là aussi le pari est réussi : on rit, beaucoup, et jamais à mauvais escient. Gallienne nous emmène dans sa vie sur laquelle il porte un regard plein de tendresse sans occulter ses (nombreuses) erreurs. Apparemment on en trouve certains pour y voir une critique du milieu gay et une apologie de l’hétérosexualité, mais comme les mêmes ont aimé La Vie d’Adèle ce n’est pas trop grave.
Et enfin le réalisateur prend un parti audacieux puisqu'il joue également sa mère, bourgeoise ampoulée et un poil vulgaire que le jeune homme couve d’une admiration quasi œdipienne. Une grande partie du film repose sur cette relation mère/fils à la frontière du malaise, et sur l’amour absolu que voue Guillaume à sa génitrice. Là encore, il faudrait sincèrement manquer de cœur pour trouver à redire à la performance : l’acteur n’a pas usurpé son statut de sociétaire de la Comédie française.
Comme la musique est étonnamment bien choisie***, la mise en scène originale et le sujet rafraîchissant, on peut dire qu’on a affaire à un très bon film. En plus c’est drôle.
Les garçons et Guillaume, à table !, Guillaume Gallienne, 2013
* En fait, comme il l’explique lui-même régulièrement en interview, c’était surtout le fait que ses deux frères dormaient dans la même chambre qui justifiait cette étrange formulation.
** Il suffit de revoir Le père Noël est une ordure, Le Dîner de cons ou Le Prénom pour s’en convaincre. C’est drôle (enfin… moins que les pièces à chaque fois), mais en termes cinématographiques ça ne vole pas bien haut. Ici on est dans une toute autre réflexion.
*** Bon, c’est peut-être parce qu’on était deux choristes, mais on a adoré la bande originale du film. Notamment une très belle version polyphonique de We Are the Champions.

jeudi 28 novembre 2013

Julien a vu… La Vie d’Adèle, chapitres 1 et 2



Vu le 24 novembre 2013
Lycéenne, plutôt littéraire, Adèle rencontre Emma, étudiante aux Beaux-Arts. C’est le coup de foudre, Adèle découvre sa sexualité et les deux partent vivre ensemble une passion des plus ordinaires. Puis des tensions s’installent, une des deux fait une connerie classique et elles se séparent.
Voilà. C’est le film. Ça dure trois heures. La première moitié m’a saoulé. La seconde m’a déprimé. Et le générique de fin m’a énervé. Alors c’est ça la Palme d’or, le grand film d’Abdellatif Kechiche, la révélation ? Eh bah putain !
Bon, calmons-nous, essayons d’être un peu objectif. Ce film est tiré d’une bande dessinée que j’avais beaucoup appréciée, Le bleu est une couleur chaude, de Julie Maroh (éd. Glénat). Je dis bien « tiré de » et pas « adapté », car Kechiche n’en a repris que la prémisse, évacuant tout l’aspect sociologique, politique et tragique. En soi, ce n’est pas forcément une mauvaise idée. Dieu sait qu’on a vu assez d’homophobie ces derniers temps : traiter cette histoire d’amour comme une simple histoire d’amour, sans trop se soucier du sexe des intervenants (enfin, je me comprends), est finalement plutôt rafraîchissant*.
Seulement voilà, une histoire d’amour, traitée sur le mode réaliste, c’est chiant. Surtout un premier amour. Vous vous souvenez de votre premier amour ? La drague insipide, les phrases hésitantes, les bisous ridicules… oui, vous vous en souvenez, avec une pointe de nostalgie dans le fond de l’œil, mais sincèrement, vous n’avez pas envie de le revivre, parce c’était quand même un peu naze. Le premier amour n’a d’intérêt que parce qu’il y en a d’autres après, où on peut profiter un peu de son expérience. Ben voilà, ce premier amour chiant, passionné mais objectivement inintéressant, c’est La Vie d’Adèle…**. Filmé pour ainsi dire en temps réel, avec des vraies hésitations de jeunes, des vraies phrases mal fichues, des vraies erreurs. Et du sexe. On en a beaucoup parlé de ces scènes de sexe, qui s’étendent ad nauseam pendant de looooongues minutes de frotti-frotta. Personnellement elles n’ont suscité en moi qu’un ennui poli. Oui, il y a de la passion. C’est d’ailleurs à peu près le seul moment où les deux héroïnes ont l’air en phase : pendant le sexe et de suite après. Post coitum animal laude.
Que nous apprend ce film ? Que l’amour, c’est nul. Au début, c’est ridicule, au milieu, le sexe est cool mais en dehors de ça on ne se comprend jamais qu’à moitié, à la fin on se sépare parce que les petites incompréhensions mènent aux grandes erreurs***. Voilà, amusez-vous bien avec ça. Sans être en complet désaccord avec cette thèse (je reste un gros célibataire frustré), ça ne me rend pas le film agréable, ni sympathique. Au niveau formel, puisqu’il faut quand même en parler, Kechiche passe 80 % de son long-métrage à filmer les visages d’Adèle Exarchopoulos et de Léa Seydoux en gros plan pour nous permettre de compter chaque pore, chaque grain de beauté et chaque larme (beaucoup de larmes, beaucoup de morve). C’est un peu indigeste au bout d’un moment, et des moments il y en a beaucoup en trois heures. Surtout quand vous comprenez que l’intrigue ne va nulle part, que les quelques oppositions socioculturelles évoquées ne mènent à rien et qu’il s’agit, purement et simplement, de l’histoire d’un premier amour. Ni plus ni moins. Ça plaira sûrement à plein de gens, mais moi, ça me gave.
La Vie d’Adèle, chapitres 1 et 2, Abdellatif Kechiche, 2013
* Je me souviens d’ailleurs, après avoir lu la BD, m’être dit « au-delà de tout le tragique de cette autobiographie, c’est surtout, surtout une très belle histoire d’amour ». C’est bizarre parce que Kechiche n’a traité que cette partie (à un court passage près sur la violente homophobie de la cour du lycée et une vague évocation de la différence de classe entre les familles d’Adèle et d’Emma), et pourtant je ne suis pas exactement satisfait.
** C’est du reste parfaitement assumé : le « chapitres 1 et 2 » du titre n’est évidemment pas à prendre comme l’annonce d’une suite, mais comme une explicitation : chap. 1, l’enfance, chap. 2, le premier amour. Ce n’est pas fini pour Adèle, heureusement. La question de la pertinence de ne traiter que de la partie chiante d’une vie au cinéma reste toutefois posée.
*** Enfin, « grandes »… ceux qui ont lu la BD trouveront peut-être que les malheurs ici représentés font assez pâle figure à côté de ceux que l’œuvre originale (et véridique) raconte. Mais les malheurs, ça ne se compare pas.

mardi 26 novembre 2013

Julien a vu… Gravity



Vu le 22 novembre 2013
Alors qu’ils accomplissaient une mission de routine (si tant est que ça veuille dire quelque chose dans ces circonstances), des astronautes se retrouvent pris dans une tempête de débris qui détruit leur navette. Seuls survivants, coupés du reste du monde, la débutante docteur Ryan Stone et le vétéran Matt Kowalsky tentent de rejoindre la Station spatiale internationale, qui n’est pas loin mais un peu quand même.
Première loi de Newton : « Tout corps persévère dans l’état de repos ou de mouvement uniforme en ligne droite dans lequel il se trouve, à moins que quelque force n’agisse sur lui, et ne le contraigne à changer d’état. » Certes sur Terre on ne s’en rend pas trop compte, à cause du frottement de l’air qui empêche la plume d’arriver au sol aussi vite que la bille de plomb, et de la gravité qui tend à faire tomber la pierre qui aimerait continuer sa route tout droit, mais c’est cette loi fondamentale de la physique qui va pourrir la vie de nos deux protagonistes avec une admirable constance pendant les quatre-vingt-onze minutes de ce long-métrage.
Gravity connaît un beau succès, et c’est normal. D’abord parce que les deux têtes d’affiche, uniques acteurs du film, tiennent admirablement bien leurs rôles : Sandra Bullock, qu’on n’avait pas vue depuis longtemps, nous convainc sans peine de son inconfort spatial. Quant à George Clooney… Ben merde, voilà un film avec George Clooney cabotinant sur un jet-pack. Je suis désolé mais pour moi c’est une vision du bonheur.
Mais surtout, c’est la réalisation somptueuse, monumentale, épique d’Alfonso Cuarón* qui donne enfin à la 3D une raison d’être. Ce film, il FAUT le voir sur grand écran, en trois dimensions. Le vide de l’espace vous happe, vous absorbe, vous digère, et vous vous rappellerez souvent de la fameuse phrase « Dans l’espace, personne ne vous entend crier ! »** L’espace est une saloperie hostile, jamais plus vous n’en douterez, et il n’est pas besoin de la farcir d’extraterrestres facétieux pour s’en convaincre. Face au vide, à la beauté cruelle d’un lever de soleil au milieu du néant, la détresse des personnages prend littéralement une autre dimension et vous laisse sur le cul.
Du coup on pardonne sans mal au scénario quelques facilités, comme l’accumulation ininterrompue de catastrophes arrivant à nos héros et le déroulé finalement très classique de l’action. Car ce film est avant tout un trip de réalisation, une sorte de course haletante qui vous colle au siège pendant toute sa durée parfaitement maîtrisée.
Gravity, Alfonso Cuarón, 2013
* Que les cinéphiles connaissent pour Y tu mamá también, les fans de SF pour Les Fils de l’homme et les autres pour Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban. Tout ça, c’est très bien, mais il a aussi réalisé La Petite Princesse, une adaptation du même roman qui avait donné Princesse Sarah. C’était une information inutile (gingle !)
** Probablement le slogan de la future compagnie de voyage interstellaire. Le film n’est d’ailleurs pas avare en références visuelles, et on notera des hommages autant à Alien qu’à 2001, l’odyssée de l’espace***.
*** D’ailleurs sur les retirages des affiches on peut trouver cette énumération : « 60’s : 2001, l’odyssée de l’espace. 70’s : La Guerre des étoiles. 80’s : Blade Runner. 90’s : Matrix. 00’s : Avatar. 10’s : Gravity ». Un intrus s’est habilement dissimulé dans cette liste, saurez-vous le retrouver ?