mercredi 6 mars 2013

Julien a vu… Des serpents dans l’avion



Vu le 1er octobre 2006

Un beau dimanche après-midi, dans le bureau de David R. Ellis, banlieue sordide d’Hollywood
David, David, ça y est, j’ai une idée de film !
John, je déconnais quand je disais que je voulais refaire un film. Cellular et Destination finale 2, ça m’a suffi, je raccroche je te dis.
Maieuh tu peux pas me faire ça ! On avait dit que si j’arrivais à trouver une bonne idée de scénario, tu me le réalisais mon film !
Grmblb… bon, c’est quoi ton idée ?
Tu vas voir, c’est génial. Tu sais qu’on a déjà fait des films avec des avions qui s’écrasent ?
Ouais, enfin, c’est surtout des films d’avions qui s’écrasent pas. Genre Turbulences à 30 000 pieds ou Les Ailes de l’enfer ?
Par exemple. Et on a aussi déjà fait des films avec des serpents.
Genre Morsure, de Carpenter ?
Heu… je pensais plus à King Cobra ou Python, mais pourquoi pas ?
OK, ça a déjà été fait. Et… ?
Mais personne n’a jamais fait : des serpents dans un avion qui s’écrase !
Ah, ah !
C’est ton idée ça ?
Ouais ! C’est génial hein ?
T’en as scénarisé combien des films, déjà ?
Ben… avec celui-là, ça fera un. Mais y a Sebastian qui va m’aider !
Sebastian Gutierrez, le scénariste du Gothika de Kassovitz ?
Himself !
Ah ouais. Bon, je suppose qu’une promesse, c’est une promesse…

Quelques jours plus tard, dans une cave sous-louée à la tante du réalisateur
Bon, bienvenue à tous pour la première réunion de préparation de… John, c’est quoi le titre déjà ?
Des serpents dans l’avion.
Non, ça c’est le sujet John ! Le titre, c’est quoi ?
Ben… j’ai pensé qu’on pourrait garder ça comme titre. C’est original, tu trouves pas ?
T’es pas la moitié d’un fainéant, toi ! Bon, va pour Des serpents dans l’avion. Le casting, ça en est où ?
Alors, j’ai d’excellentes nouvelles : on a Samuel L. Jackson !
Hé, hé…
Samuel L. Jackson ? LE Samuel L. Jackson, celui de Pulp Fiction, de Die Hard 3, de Jacky Brown, de Star Wars ? Ce Samuel L. Jackson là, pas un obscur homonyme ?
Non, non, Samuel L. Jackson ! Il adore le concept, il veut à tout prix jouer dedans !
Il est prêt à investir dans la production ?
Euh… non, quand même pas. Mais il veut bien des vacances à Hawaii.
OK. Bien, c’est bon ça coco ! Ça ne part pas si mal, ce navet ! Pour lui donner la réplique, je vois bien un comique balèze, genre Owen Wilson…
Euh… ben, on a Nathan Phillips.
Qui ?
Nathan Phillips. Mais si, il jouait dans Wolf Creek
D’accord, au temps pour moi, je me suis enflammé. Donc en vrai acteur, on n’aura que Jackson. Niveau nichons, on a quoi ? Indispensable, ça : dans les films d’avion y a des hôtesses de l’air et dans les films de serpents des bonnasses pour faire les casse-croûtes. Là il nous faut de la cuisse fraîche, genre Elisha Cuthbert.
On a Julianna Margulies, Rachel Blanchard, Sunny Mabrey…
Hein ? C’est qui ça ?
Rachel Blanchard, elle jouait pas dans Sept à la maison ?
Et Margulies, c’était l’infirmière Hathaway dans Urgences, non ?
Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Où il est le scénariste ?
Ben c’est moi, David…
Non, John, le vrai scénariste, celui qui écrit l’histoire. Sebastian, les filles là, on voit leurs nibards au moins ? Non parce que je veux bien racler les fonds de sitcom, mais il me faut un retour sur investissement !
Ben si tu veux, je peux te rajouter des plans nichons avec les serpents qui mordent les seins de l’actrice. Je suis sûr que ça plaira…
Mmh… dis donc, au fait, je feuillette le scénar, là, et je pense à un truc… C’est quoi déjà l’excuse pour qu’il y ait des serpents dans un Boeing 747 ?
C’est très simple : Nathan Phillips a été témoin d’un meurtre perpétré par un gros maffieux, il doit aller témoigner à Los Angeles et, pour l’éliminer, le maffieux a rempli l’avion de serpents venimeux.
… C’est complètement con comme plan ! Comment il peut être sûr que le mec va se faire mordre ?
Ah, mais c’est qu’il en a mis vraiment beaucoup beaucoup, tu vois ! Et puis de toutes les espèces : cobras, crotales, serpents corail, mambas noirs, vipères cornues, pythons molures…
C’est venimeux le python molure ?
Euh… bon, qu’est-ce qu’il y connaît, le public, en serpents, hein ? De toute façon, on fait tout en images de synthèse, on a tous les serpents qu’on veut, autant en profiter.
Oui, mais quand même, ta scène finale, là…
Quoi la scène finale ? Très bien, la scène finale, très réaliste.
Je sais pas, faudra se renseigner auprès d’un mec de la sécurité aérienne, mais je suis pas sûr que ce soit complètement possible ça.
Beuh, faut toujours une ou deux hyperboles dans un film à grand spectacle.
On est d’accord qu’on tourne pas une comédie ?
Euh…

Premiers jours de tournage, un studio à Papeete
Dis-moi John, je croyais qu’on était d’accord pour limiter les gags !
Mais tu rigoles ? T’as vu le succès du film sur Internet ? Les gens s’attendent à un gros délire !
Quel succès ? Le film est même pas encore tourné.
Oui, mais le site web a un succès fou ! Les fans adorent le concept. Ils croient qu’on est en train de tourner un nanar volontaire, style Le Retour des tomates tueuses.
Mais je veux pas tourner un nanar !
Ah, va falloir, sinon tu vas cruellement décevoir les fans.
      Dans quoi je me suis embarqué, encore ? Et puis c’est quoi, ces clichés ? Le steward gay, le rappeur dragueur débile, l’hôtesse de l’air nympho, la bourge conne au chihuahua surexcité… ça fait un peu « défilé de victimes désignées » non ?
Pas du tout. Toi, t’as pas lu le scénar !
Tu crois que j’aurais réalisé Cellular si je lisais les scénars ?
Je croyais que c’était pour tourner avec Kim Basinger…
Ta gueule ! Ton script il est naze !
Pas du tout, c’est un jeu sur les clichés : en fait, le steward n’est pas gay, le rappeur n’est pas si con, l’hôtesse de l’air est sympa…
Et le chihuahua tu vas pas le faire bouffer par le python molure par hasard ?
Euh… peut-être.
Ouais. Et le couple qui pense qu’à s’envoyer en l’air dans les toilettes en fumant un joint, ça va pas être les premières victimes ?
Ah, ça c’est normal, c’est la règle : sexe + drogue = mort prématurée, c’est dans tous les manuels de films d’horreur.

Tournage en studio
Dis donc Sebastian, j’ai un petit problème avec cette scène là… un truc a disjoncté, donc il faut descendre dans la soute pour le réenclencher manuellement. Et comme la soute est pleine de serpents, c’est Samuel L. Jackson qui s’y colle, dans le noir avec juste une torche…
Oui. Et… ?
Ça te rappelle pas un film ? Genre un truc avec des dinosaures qui s’échappent sur une île, tout ça ?
Euh… ah, oui, effectivement ça ressemble.
Quel piqueur d’idées, ce Spielberg, pas vrai ?
Non mais t’as pas compris l’astuce ! Dans Jurassic Park, quand Laura Dern descend dans la cave, qui c’est qu’elle retrouve mort bouffé par les raptors ?
Ben… le noir il me semble…
Joué par ? Samuel L. Jackson ! Tu vois, à travers cette scène, je permets à Samuel de montrer que son personnage a évolué, qu’à présent c’est lui qui terrorise les monstres, qu’il est devenu digne de finir autrement que sous la forme d’un bras à moitié bouffé… c’est une sublime métaphore sur sa carrière d’act…
Ça va, ça va, laisse tomber ! De toute façon, c’est pas la seule scène piquée à Spielberg. Au fait, ça fait vraiment cet effet, les piqûres de serpent ? Les boursouflures, les abcès purulents, les yeux qui fondent… ?
Euh… oui, attends, je demande… Todd ?
Oui ?
David demande si les serpents, ça fait vraiment ce genre de dégâts ?
Mais qu’est-ce que j’y connais moi ? Je joue le spécialiste dans le film, j’y connais rien en vrai, je suis acteur putain !
Ouais, ben justement, comme ça se voit pas trop à l’écran, je me disais que peut-être ils s’étaient gouré au casting et qu’ils avaient engagé un vrai herpétologue.
Hé, je te permets pas, j’ai joué dans Jerry Maguire, dans High Fidelity, dans Chicago Hope
Ah ben comme ça tu peux discuter avec l’autre de Urgences. Vas-y, dégage.
Bon, ça te va pas les dégâts des serpents ?
Ben c’est pas ça, mais c’est pas un peu craspouille ? Moi, je croyais que tu mourais, et puis c’était tout. Mais là les gens gonflent, ils font des œdèmes et tout…
Ah ben c’est un film d’horreur aussi, hein ?
Mouais. Et pour cette scène finale, tu as trouvé une idée ?
Mais je vois pas pourquoi tu veux la changer cette scène.
Parce que jusque-là, on est dans une relative logique vis-à-vis de la réalité (logique floue, hein, mais bon). Et là, j’ai un copain steward, il m’a clairement dit que c’était pas possible ton idée…
Bah, qu’est-ce qu’il en sait, il a essayé ?
Il dit que tout le monde finirait au mieux décapité et propulsé à 60 000 pieds d’altitude.
Boaf ! On tourne un film délire, c’est tout.

Veille de l’exploitation
Non, franchement, les fans sont surexcités. Ça va être la folie furieuse, on va faire une première semaine de dingue !
Tant mieux, parce que je ne te cache pas que c’est sans doute là qu’on va faire tout notre chiffre. J’ai peur que la deuxième soit désastreuse.
N’importe quoi ! Au fait, pourquoi t’as pas voulu montrer le film à la presse en avant-première ?
C’est une blague ? Tu crois vraiment qu’on a besoin de se faire descendre en prime ?
Mais qu’est-ce que tu reproches à ce film ?
Je lui reproche d’être mal balancé ! Soit on fait un truc d’action un peu effrayant, soit on tape le délire, mais il faut choisir. Là, c’est ni fait ni à faire. C’est même pas vraiment drôle…
Ah, si, la réplique de Samuel à la fin, elle est géniale. Les machinistes ont rigolé pendant vingt minutes quand il l’a sortie…
Oui, il m’a rappelé Tom Hanks dans Da Vinci Code : on se demande si c’est le personnage ou l’acteur qui parle en exprimant son ras-le-bol !
Pas de basses insultes, s’il te plaît.
Bon, on verra bien…

Début de deuxième semaine
Bah alors, c’est pas si mal ! Plus de 15 millions de dollars la première semaine !
Oui, ben c’est fini. Maintenant que les « fans » l’ont vu, ils en parlent sur les forums Internet où ils en disaient du bien avant de le voir… et c’est moins enthousiaste.
Ouais, mais on l’a remboursé le film ?
Ah ben oui. D’ailleurs, on a bien fait de monter la sauce sur le net parce qu’on était dans le rouge. Tournage à Hawaii, Samuel L. Jackson, effets spéciaux plutôt honnêtes, c’est sûr que c’était pas du Ed Wood tourné à l’économie. On s’en sort bien, mais je te préviens, je bosse plus jamais avec toi !
Mais qu’est-ce que tu racontes ? Maintenant il faut capitaliser sur le succès. Regarde, un copain a moi a écrit un nouveau script, ça s’appelle Asylum
Pff… tu fais chier !
Snakes on a Plane, David R. Ellis, 2006



1 commentaire:

  1. C'est vriament comme ça que ça a du se passer. effectivement, ils auraient dû fairele choix entre le film d'action et le nanar parce qu'entre les 2, ça ne ressemble à rien.

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