jeudi 17 janvier 2013

Julien a vu… Disturbia



Vu le 5 septembre 2007
Université d’Hollywood, amphi Max Pécas.
« Bonjour les jeunes. Je suis D. J. Caruso, vous avez probablement vu mon dernier film, Two for the Money, avec Al Pacino et Matthew McConaughey… Non ? Bon, c’est pas grave, de toutes façons je suis pas là pour vous parler de ça. Aujourd’hui, nous allons évoquer la délicate matière des thrillers pour adolescents… Oui ? Le jeune homme au deuxième rang ?
Vous voulez parler de trucs genre Scream ? Parce que monsieur Craven nous a déjà…
Non, je parle de thrillers, pas de vulgaires slasher movies avec tueur psychopathe à grand couteau. Je parle de films où le spectateur est tendu comme un string pendant toute la durée du long-métrage, je parle d’une intrigue dans laquelle le héros, bloqué par un terrible trauma, est contraint d’affronter ses peurs les plus intimes dans un terrifiant duel contre la fatalité et contre lui-même… Voyez mon nouveau film, Disturbia*, c’est un exemple frappant. Oui, vous là, vous l’avez vu ?
C’est bien l’histoire de ce jeune homme assigné à résidence pour avoir tabassé son prof et qui découvre que son voisin est un tueur en série ?
Exactement. Les plus érudits d’entre vous auront peut-être discerné dans ce scénario une subtile référence à Fenêtre sur cour, un classique avec Christopher Reeve. Il paraît même qu’il s’agissait d’un remake d’un vieux film en noir et blanc, mais bon, je suis pas archéologue non plus…
Le héros de votre film, c’était le mec de Transformers non ?
En effet, j’ai été un des premiers à faire tourner le petit Shia LaBeouf**. Sacré gamin ! D’ailleurs il jouera bientôt dans Indiana Jones 4, c’est dire si j’ai eu le nez creux de l’engager avant, je vous raconte pas la tronche de mon comptable.
― J’ai particulièrement apprécié la manière dont vous montrez subtilement dès le début les armes qui serviront à la fin.
Oui, intéressant n’est-ce pas ? Quand mon héros plante un grand sécateur dans le jardin ou quand il tartine du beurre de cacahuète avec un énorme couteau à viande… Je suis sûr que vous ne vous êtes pas douté une seule seconde qu’ils allaient revenir dans la scène finale avec le tueur fou, hein ? En jargon technique on appelle ça un implant, ça sert souvent pour mystifier le spectateur, notez bien***. Oui ? Vous, là, avec les boutons…
― Ouais, la meuf, elle est bonne…
Euh… Effectivement, Sarah Roemer n’est pas mal, mais elle a été castée pour ses qualités d’actrice avant tout. Il fallait ce côté “pauvre petite fille riche”…
   Ouais mais on la voit pas à oualpé !
   Bien sûr qu’on ne la voit pas à poil, petit sot ! C’est une règle de base dans le film pour adolescents : on émoustille, on titille, on suggère le flirt mais on ne montre jamais le moindre bout de téton ! Hé, on est en Amérique ici mon gars ! Tu veux de la dépravation ? Va en France ! Ici, on fait dans le visible par tous !
Mais monsieur Verhoeven il disait…
M’en fous de vos autres profs, dans ma classe on fait comme je dis ! Bon, poursuivons : la scène finale.
― Et les intermédiaires ?
Ben on en a déjà parlé ! Vous faites monter la pression, entre le voisin qu’on sait pas si c’est un tueur et la fille qu’on sait pas s’il va se la taper, puis on attaque la scène finale.
Ah…
― Alors, pour la scène finale, une seule règle : n’hésitez pas à faire dans la surenchère. Allez-y à bloc, de toutes façons le stress sera tel chez les spectateurs que n’importe quelle connerie passera à l’aise. Genre, ça se passe dans la maison du tueur : mettez des passages secrets dans tous les coins.
Ah, c’est ça… Non parce que je me disais, quand on voit la surface intérieure par rapport à l’extérieur, elle passe pas la loi Carrez cette baraque !
Et puis n’oubliez pas : le tueur est indestructible, sauf lors de la dernière attaque. Balancez-le du premier étage, il reviendra toujours. Ensuite, il y a quelques règles de base à suivre pour surprendre toujours plus votre public, je vous les ai listées dans le poly que vous pourrez récupérer en sortant du cours. Vous remarquerez qu’elles sont toutes présentes dans mon film… Un exemple au hasard… là, “les héros peuvent s’asseoir dos contre la porte pour la retenir en prévision de l’arrivée du tueur. À ce moment, le tueur devra toujours traverser le battant avec un objet tranchant et/ou contondant, sans toutefois toucher aucun des héros.” Ou encore ici : “si les héros parviennent à faire tomber le tueur dans l’escalier, surtout ne pas les faire descendre pour l’achever. Se barricader dans la chambre est une option bien plus porteuse scénaristiquement parlant.” Et bien sûr, le grand classique : “quand le méchant a attaché le héros, ne pas oublier qu’il doit raconter son plan, même s’il est complètement absurde et que ça ne sert à rien.” Ça c’est un classique, pas moyen d’y couper.
Monsieur, monsieur…
Oui mon petit ?
― Je me disais : c’est normal qu’il n’y ait pas un mort dans le film ? Je veux dire, ça aurait pu être un peu plus gore, non ?
Comment ça pas de mort ? Et la fille de la boîte de nuit, elle meurt pas peut-être ?
Ben on la voit quasiment jamais…
Et le flic, il meurt pas ? Vous aurez d’ailleurs admiré cette manière de le tuer par derrière en lui faisant craquer les cervicales. L’idée m’est venue comme ça, d’un coup. Je ne pense pas que ça ait déjà été fait dans un autre film avant…
Ouais mais en fait c’est les seuls morts. Il est tout pourri votre tueur.
― Eh, oh, tu connais mon budget ? Tu attendais qui ? Anthony Hopkins ? Kevin Spacey ? Sergi López ? On fait avec ce qu’on a mon petit gars ! Ah, la sonnerie. Le cours est terminé, j’espère qu’il vous aura été profitable. Pour la semaine prochaine, le travail sera de me bricoler une idée de base pour un bon petit thriller. Du réaliste, hein, pas de zombis ou de virus cannibale ! Un bon serial killer qui collectionne les organes, y a que ça de vrai, OK ? Merci. »
Disturbia, D. J. Caruso, 2007

* Élégamment traduit Paranoïak en France. Je ne cherche plus à comprendre.
** Ne me demandez pas comment ça se prononce !
*** Certains experts pédants parlent aussi de « perception subliminale ». Des cinéastes l’ont élevée au rang d’art (cf. Robert Zemeckis dans Retour vers le futur), voire de métaphore du divin (cf. M. Night Shyamalan dans Signes). D’autres le considèrent simplement comme une manière bon marché de relever un scénario (cf. Steven Spielberg dans Jurassic Park 2).


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